Le Figaro offre à ses lecteurs, le vendredi, une sélection d’articles du New York Times. Cette semaine, en dernière page, un article de Michael Kimmelman : Financement de la Culture : le modèle américain. Je le lis avec effarement ! Tout d’abord parce qu’il est mal traduit, ce qui conduit à quelques tours de phrases absurdes (à propos de la Gemäldegalerie de Berlin : « Mais comme il est à l’écart des circuits touristiques, en Allemagne et non en France, il est quasiment toujours vide » !!). Cet article colporte, d’autre part, au moins deux flagrantes contrevérités :
1) que le subventionnement de la culture par les collectivités publiques conduirait à la médiocrité (« Une bienveillante négligence bureaucratique permet également à des dizaines de compagnies d’opéra allemandes de survivre, leur prolifération faisant l’orgueil de la nation. Dans le même temps, libérées des forces du marché, elles n’ont de comptes à rendre à personne. C’est ce qui explique en partie l’abondance d’opéras médiocres en Allemagne ») !
2) que ce subventionnement instrumentaliserait la culture à des fins politiques (« Tout comme le président Pompidou a conçu le centre éponyme, François Mitterrand a inauguré le musée d’Orsay et Jacques Chirac le musée du Quai Branly. Dans ces trois cas, la politique a joué un rôle dans la manière dont les objets sont exposés. A Orsay, les objets d’art illustrent une histoire révisionniste suspecte et, au Quai Branly, même si c’est involontaire, on croit contempler les collections d’un zoo colonialiste ») !
S’ajoutent à ces absurdités de nombreux indices d’une ignorance abyssale des réalités dont parle l’auteur. J’en cite quelques-unes :
1) en Europe « la tradition du don privé n’existe quasiment pas… » ! Que ce monsieur lise les cartels des œuvres présentées dans nos musées, il pourra constater combien les collections publiques ont bénéficié de la générosité de donateurs et cela, de façon constante depuis le XIXè siècle…
2) « les incitations fiscales sont rares [dans de nombreux pays], si tant est qu’elles existent » ! Là aussi, quel lieu commun que d’opposer ainsi l’Amérique au « vieux continent ». Que cet ignorant auteur consulte la loi du 1er août 2003 qui établit en faveur des dons faits à des œuvres d’intérêt général un régime de réduction d’impôt plus qu’appréciable puisque la réduction peut s’élever jusqu’à 90% du don effectué pour l’achat d’une « œuvre d’intérêt patrimonial majeur ».
L’ensemble de l’article est de la même eau approximative et débite plus un chapelet de lieux communs et de préjugés assez bornés qu’il ne déploierait une véritable analyse d’une situation spécifique… En un mot comme en dix, cet article est indigne de la bonne réputation que veut se donner le New York Times. Il traduit ce fantasme antiétatique qui agite souvent les tenants d’un modèle américain « old style ». La vérité est beaucoup plus nuancée. L’Europe (encore que la situation des différents pays d’Europe est loin d’être homogène !) et les Etats-Unis ont développé des systèmes différents de soutien à la culture, avec, dans chacun des cas, des succès et des échecs. Ces systèmes font écho à des traditions différentes. Ils s’enracinent dans des histoires distinctes. Q’ils convergent progressivement, c’est une chose. Qu’ils s’excluent l’un l’autre, c’en est une autre. Le système américain, s’il a produit de puissantes et brillantes institutions, n’a que médiocrement visé le partage démocratique de l’accès à la culture. Les disparités culturelles entre les américains sont effrayantes, tout comme, d’ailleurs, les disparités matérielles. Ce pays de liberté n’a su que difficilement être un pays d’égalité. On le voit dans la vigueur du débat sur l’assurance santé de tous les citoyens de ce pays. Le financement privé de la culture n’a pas non plus la vertu stabilisatrice que veut bien dire M. Kimmelman. On a vu, lors de la crise de 2009, à quel point les musées, les bibliothèques, les opéras… avaient souffert de la brusque contraction de la disponibilité de leurs donateurs alors qu’en Europe, en France en tout cas, la plus grande constance de l’action publique assurait aux institutions plus de sérénité, même si la réduction de la dépense publique ou sa sollicitation massive par d’autres interventions que celles en faveur de la culture, peut avoir eu ici ou là un impact sur ce secteur.
Je crois à l’utilité de l’action publique. C’est elle qui est garante de la constance, de la neutralité, de l’universalité d’une action engagée pour le bien commun. Je crois même à sa nécessité s’agissant de la culture, parce que la culture permet aux sociétés d’atteindre un stade supérieur de leur développement et qu’elle peut leur garantir cette concorde qui dissuade les fanatismes et les haines. Comment imaginer qu’un état démocratique n’aurait pas l’ambition du partage du savoir, de la culture, de la santé… alors même que la démocratie repose sur le principe de l’égale dignité des citoyens et sur leur égale capacité d’être réellement raisonnables, de délibérer des affaires publiques et de faire les choix que leur destinée impose.
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