Tribune par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre.
L'élection du dimanche 7 mai, qui conclut un processus électoral plein de rebondissements et de victimes, offre aux Français la formidable possibilité de tourner la page, et même d'en tourner plusieurs.
La première page qu'on aimerait voir tournée, c'est celle de la présence envahissante du Front national dans l'espace politique de notre pays. Le débat du 4 mai a tellement mis en évidence les insuffisances, la rouerie, la médiocrité de la candidate de ce parti, qu'on a peine à croire que, plus longtemps, des électeurs, même désorientés par les difficultés qui s'imposent à leur existence, continuent de lui apporter leurs suffrages. Tout dans ce parti n'étant qu'exploitation du malheur et instrumentalisation de la détresse, plus rien n'autorise à imaginer qu'il serait devenu « normal ». Même si le front républicain ne s'est pas exprimé de façon aussi immédiate et massive qu'en 2002, de nombreux appels, clairs, nets et désintéressés à voter pour Emmanuel Macron, montrent, s'il le fallait, à quel point le front du refus de ce que représente le FN est profondément enraciné dans la conscience politique du peuple français.
Autre page qui se tourne, c'est celle de quelques décennies de l'histoire politique de la France contemporaine, décennies caractérisées par la domination des deux partis qui se disaient glorieusement « de gouvernement » et auxquels l'élection du 23 avril a réservé un si mauvais sort. Aujourd'hui, la situation invite à une totale recomposition du paysage politique, à l'émergence de nouvelles expressions partisanes, dont celle d'En marche !, à la possibilité, et même à la nécessité de susciter de nouvelles formes d'alliances, de nouveaux types de majorité, autour de projets, et tout simplement d'un projet de gouvernement. Voilà bien le premier prodige que l'irruption d'Emmanuel Macron sur la scène politique de notre pays aura suscité. Puissent les partis « historiques » face à une situation aussi inédite ne pas se laisser aller, dès les législatives, à la tentation de restauration de l'ordre antérieur des choses, mais sachent devenir eux-mêmes des acteurs efficaces de cette recomposition, après avoir accompli les aggiornamenti que leur imposent les contradictions si nombreuses et fortes qui les agitent depuis de nombreuses années.
La page qu'il appartiendra, par ailleurs, à Emmanuel Macron de tourner, c'est celle de la manière même d'exercer le pouvoir exécutif, afin de redonner à la démocratie la vitalité et la lisibilité dont elle a besoin. Il lui faudra replacer à son juste niveau le rôle du président de la République, rétablir entre lui-même et le Premier ministre qu'il aura choisi un équilibre réellement conforme à l'esprit de nos institutions, veiller à ce que la composition du gouvernement soit adaptée à l'ambition qu'il a désignée à son projet, en évitant toutes les facilités auxquelles conduit la seule préoccupation de l'affichage. Il lui faudra également savoir, le moment venu, rendre au Parlement toute la part de responsabilité qui lui revient, à la faveur du rétablissement d'une relation franche, respectueuse et constructive entre la représentation nationale et le gouvernement. L'engagement qu'il a pris de rendre compte chaque année de son action au Parlement réuni en congrès, puisque la réforme de la Constitution voulue par Nicolas Sarkozy l'y autorise, est à cet égard de bon augure.
Autre page qu'il lui faudra tourner avec détermination et vigueur, pour extirper de notre pays quelques-unes des plus funestes idées qui le minent, c'est celle du dénigrement de l'Europe. La négation des progrès que la construction européenne a procurés à chacun des pays qui la composent, et plus particulièrement au nôtre, l'un des pays fondateurs, a trop longtemps prospéré et fourni aux démagogues de tous poils le combustible de leur funeste entreprise de démoralisation des Français. L'Europe doit redevenir pour notre pays un horizon désiré, une grande aventure partagée, un facteur de son développement et de son rayonnement. Le courage avec lequel Emmanuel Macron a assumé tout au long de sa campagne sa conviction européenne, l'engagement qu'il a pris de faire de la France la pionnière du redémarrage d'une construction européenne véritable, porteront rapidement leurs fruits.
L'élection à la présidence de la République française d'un homme âgé de 39 ans à peine est également une manière de marquer notre désir collectif de faire confiance aux générations nouvelles, de regarder l'avenir d'une autre manière, de ne pas avoir seulement peur du temps qui passe, mais également confiance dans le temps qui vient. Ce temps est désormais pour chacun d'entre nous le temps des attentes, celui des espérances, celui de la confiance. Il sera celui des enthousiasmes, des réussites et de la réconciliation des Français avec l'idée même que la politique sert à quelque chose. C'est ainsi que se tournera une autre page, celle du caractère morbide de la relation entre la politique et les citoyens, entre l'État et la société. C'est une formidable gageure que de réussir cette aventure-là. Dès le moment où il succédera à François Hollande, Emmanuel Macron saura la prendre à bras-le-corps. C'est donc bien pour lui qu'il faut voter le 7 mai, non seulement avec la conscience d'un devoir, mais encore avec l'enthousiasme d'une conviction.
Ma tribune publiée le 5 mai 2017 dans Le Point.fr.
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