La Révolution française et, de ce fait, la démocratie en France, sont nées ici à Versailles. Entre la séance inaugurale des Etats Généraux, le 5 mai 1789 et le départ définitif de la famille royale pour Paris, le 6 octobre, c’est à Versailles que se seront déroulés quelques-uns des épisodes les plus déterminants du processus révolutionnaire, notamment ceux à travers lesquels s’exprimait un certain nombre d’idées politiques nouvelles comme :
- l’affirmation de la souveraineté du peuple ;
- le principe de représentation de la Nation par ses élus ;
- la volonté de donner à la France une constitution écrite qui s’imposerait au roi lui-même ;
- l’édification d’un nouvel Etat de droit à travers notamment l’abolition des privilèges et la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Plusieurs des lieux qui témoignent de cette histoire relèvent aujourd’hui de la responsabilité de l’Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, notamment
- l’Hôtel des Menus Plaisirs où les Etats-Généraux se réunirent le 5 mai 1789 et où le 17 juin les députés du tiers-état auxquels s’étaient joints quelques députés de la noblesse et du clergé, s’érigèrent en Assemblée Nationale ;
- La salle du jeu de Paume, où le 20 juin 1789, les mêmes députés du tiers-état, chassés de l'hôtel des Menus Plaisirs, jurèrent de ne se séparer qu’après avoir donné une constitution à la France (Serment du Jeu de Paume).
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que l’établissement, en charge de ces lieux de mémoire, les assume et les mobilise, de manière vivante pour, non seulement, les faire mieux connaître mais aussi pour servir de cadre à une réflexion sur la démocratie contemporaine. C’est ainsi que fut décidée la programmation annuelle des Entretiens du Jeu de Paume dont 2010 marque la première édition.
Pour mettre en œuvre ce projet il m’a paru opportun d’associer l’établissement que je dirige à l’Université de Tous Les Savoirs. Cette université est née à l’occasion de la célébration de l’an 2000 dont la présidence m’avait été confiée par le Gouvernement. Il m’avait en effet semblé opportun qu’à côté des initiatives festives, qu’à côté d’un programme développé d’expositions et de festivals, on sache également donner au partage du savoir et de la connaissance une place significative. C’est ainsi qu’est né ce projet fou de balayer le champs des savoirs, à travers un programme de 366 conférences, qui seraient proposées au public d’un bout à l’autre de l’année. J’en confiais alors la conception et l’organisation à Yves Michaud qui sut conduire ce projet avec pertinence au point où de nombreuses initiatives de retransmission audiovisuelle, de publication par des médias, d’édition (par la Maison Odile Jacob)…, donnèrent à cette action un écho qui dépassa le seul public parisien auquel elle était, par la force des choses, prioritairement destinée. C’est Yves Michaud qui sut aussi, au-delà de l’an 2000, et donc désormais depuis 10 ans, faire prospérer ce projet, l’ancrant sur le territoire de notre pays tout entier, l’ouvrant sans cesse à des disciplines, à des réflexions, à des expériences nouvelles. C’est donc à la fois par estime pour le travail formidable déjà accompli, par respect pour la rigueur d’Yves, par admiration pour les qualités d’organisation que savent mobiliser Yves et son épouse, Catherine Lawless, que je leur ai proposé que nous nous associions, une nouvelle fois, pour la production de ces premiers Entretiens du Jeu de Paume.
Le thème retenu m’en est cher et me semble prioritaire à qui veut réfléchir aux conditions dans lesquelles la démocratie représentative peut ou doit s’adapter aux conditions nouvelles que crée, du fait notamment des révolutions spectaculaires des techniques de la communication, la possibilité permanente, immédiate, souvent décisive de l’opinion et des opinions de faire irruption dans le débat démocratique et dans les processus de prise de décision politique. L’opinion publique n’est pas chose nouvelle mais elle a désormais des moyens démultipliés de s’exprimer et d’agir, ce qui change radicalement la donne pour l’exercice par les élus de la délégation de pouvoir qu’ils ont reçue des citoyens. Pendant longtemps cette délégation parut nécessaire et inévitable. Elle fut conçue dans une France sans voiture, sans train, sans TGV, sans avion, sans téléphone, sans radio, sans télévision, sans Internet… La volonté générale se formant loin des citoyens, leurs réactions étaient amorties par les effets de toutes les distances additionnées, celles de l’espace et celles du temps. Ce n’est qu’à Paris même que l’opinion directe des citoyens pouvait se confronter à celle des élus, d’où le caractère « parisien » des révolutions de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles et les fréquents conflits entre la rue et les Assemblées, dont cette ville fut le cadre. Aujourd’hui, c’est le territoire de notre pays tout entier qui constitue ce terrain de proximité, ce qui ne manque pas, d’ores et déjà, de poser la question de la résistance des formes classiques d’organisation de la démocratie.
Comment la démocratie dans sa forme politique et constitutionnelle classique peut-elle s’accommoder des données qui caractérisent désormais la société de l’information ? Voilà la question qu’aborderont ces trois journées d’entretiens après naturellement qu’on ait identifié les formes selon lesquelles la volonté des citoyens bouscule désormais le cadre traditionnel et si rassurant de la classique démocratie représentative. J’aimerais à cette occasion rappeler, outre l’épisode de la première Révolution française, que le château de Versailles fut l’un des berceaux de la République. C’est là, qu’en janvier 1875, à l’Opéra royal transformé en salle de délibérations du Sénat que fut voté l’amendement Wallon qui instituait la République dans une forme stable. C’est là que furent, pendant la Troisième et la Quatrième République, élus les présidents de la République, c’est là que se réunissent toujours les Congrès du Parlement pour les révisions de la Constitution et désormais, aussi, pour les adresses du Président de la République aux deux Assemblées réunies.
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