Opéra
A l’Opéra Garnier, en matinée, pour la dernière représentation d’« Yvonne, Princesse de Bourgogne ». Sylvain Cambreling dirige cette création de Philippe Boesmans, mise en scène par Luc Bondy, auteur également du livret avec Marie-Louise Bischofberger, d’après le chef-d’œuvre homonyme de Witold Gombrowicz.
La musique sert délicatement l’argument dramatique de Gombrowicz, argument absurde mais pourtant radicalement vraisemblable. Comme toujours chez cet auteur, l’invraisemblable devient l’ingrédient d’histoires plus vraies que les vraies et de paraboles profondes. Yvonne, personne laide et sans grâce, voit fondre sur elle l’élection amoureuse d’un prince, comme fond sur un élu le don gratuit du salut. Le choix dont le prince la gratifie n’est pas, en effet, sans faire penser à la gratuité de la grâce qui sauve selon la pensée augustinienne qui s’est épanouie dans le calvinisme ou le jansénisme. Aucun mérite ne justifie cette élection. Tout au contraire devrait la décourager. Elle relève d’une grâce pure qui, par son absolue gratuité, frôle l’absurdité. L’histoire de l’élévation quasi métaphysique d’Yvonne se tricote cependant avec les éléments d’un drame psychologique pervers et d’un drame social cruel. Le drame psychologique, c’est celui, classique, du déchaînement de la méchanceté de l’Homme contre l’Homme, de la coalition de la hargne d’un groupe contre l’un des siens, plus marginal et plus faible. Yvonne est une quasi bête, plus vulnérable que les bêtes qui l’entourent, donc une bête à mordre et à tuer pour que le groupe ne soit pas ébranlé dans ses certitudes, dans ses codes et dans ses hiérarchies. Le drame social rejoint ainsi le drame psychologique. Yvonne est une pauvre fille à qui le malheur donne une coriace résistance. Elle n’est pas du monde qui l’élit et l’accueille avant de s’en défaire. Elle porte les fardeaux de toutes les misères du monde. Elle est la victime.
Tout cela est cruel et vrai malgré l’extravagance poétique d’une trame dramatique, en fait cousue des fils d’or d’une connaissance subtile de la société et de l’âme humaines. La pauvre Yvonne ne bénéficie même pas d’une rédemption glorieuse finale comme la Marguerite du Faust de Gounod ou la Violetta de la Traviata de Verdi. Elle n’échappe pas à sa dérisoire condition dont elle crève, pour que l’ordre ordinaire des choses ne soit mis en cause par aucun accident, par aucun accroc à la norme.
« Yvonne, Princesse de Bourgogne » s’inscrit dans la dernière saison de Gérard Mortier à la tête de l’Opéra de Paris. Il sera prochainement « frappé par l’âge de la retraite ». C’est dommage. On aurait aimé que cette règle soit bousculée pour cet homme de grand talent. Il ira diriger l’Opéra de Madrid où son âge ne pose pas problème. « Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà »…! Après la stabilité des neuf saisons de direction de l’Opéra par Hugues Gall (1995 – 2004), on aurait aimé qu’une nouvelle période de direction prolongée de cette maison y enracine son renouveau. Gérard Mortier a pris la succession de Hugues Gall en 2004 et n’ aura donc dirigé l’Opéra de Paris que pendant cinq ans. C’est trop court. Son départ est trop prématuré. Il renvoie à la question du déplafonnement possible de l’âge de la retraite pour les fonctions de direction artistique des établissements publics, où aucune logique ne peut en justifier la mécanique rigueur.
Jeff Koons
Denis Berthomier, administrateur général de Versailles, m’envoie, par MMS, quatre photographies « dérobées » d’œuvres de Jeff Koons présentées dans une exposition (Jeff Koons Celebration) à Berlin à la Neue Nationalgalerie.
L’exposition est ouverte en nocturne, jusqu’à minuit avec le même succès que Picasso et les Maîtres, à Paris. La dimension « évènementielle » de certaines expositions est incontestable. On peut s’en offusquer, comme le fait Jean Clair, parce qu’on estime que cela menace l’art et la culture de superficialité.
On peut également s’en féliciter parce qu’on fait ainsi naître un intérêt pour l’art chez un public autre que celui qui lui est déjà acquis, par une relation savante, précautionneuse et distinguée. Jean Clair est sincère mais plus mélancolique encore que les sujets à la tête penchée, appuyée sur la paume d’une main qu’il a rassemblés dans son exposition consacrée à ce noir sentiment de l’âme européenne.
Jean Clair est trop désespéré et trop engoncé dans sa science pour admettre que la culture puisse aussi être une fête, avec ce que cela implique de joie, d’éphémère et même de légèreté. Sait-il que seule la mort est solennelle, définitive et triste ?
Acqua alta
Messages de Dominique Muller qui me signale que l’acqua alta menaçant Venise, elle a fait des courses au Billa (une grande surface) pour résister au siège aquatique.
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