Avant de quitter Londres, visite de la Saatchi Gallery proche de mon hôtel, à Chelsea. Le temps s’est refroidi. Vent glacial et flocons de neige. J’arrive à 9h20. La galerie n’ouvre qu’à 10 heures. Je me promène donc, pour passer le temps, jusqu’au Royal Hospital de Chelsea.
L’accrochage de la galerie est tout entier consacré à des artistes arabes et iraniens contemporains. Dans la « Phillips, de Pury & Company Gallery », au deuxième étage, il y a même une courte évocation historique présentée sous le titre de « Arab and Iranian modern masters ». Quelques uns des artistes contemporains présentés m’intéressent plus particulièrement, notamment Shadi Ghadirian, jeune iranienne (elle est née en 1974) qui travaille à Téhéran. Elle travaille la photographie et présente quelques pièces intitulées « Everyday Series » et trois pièces d’une « Ghajar Series ».
Ghajar, © Droits réservés
Ce travail critique sur la situation des femmes en république islamique est une preuve de plus de l’effervescence qui s’est emparée de l’Iran et des changements qui caractérisent la société de ce pays, mûr pour un accommodement avec les Etats-Unis…
Oeuvre de Shadi Ghadirian, © Droits réservés
Je m’attarde aussi au travail spectaculaire de Kader Attia, jeune français d’origine algérienne (présenté comme algérien par le cartel de l’exposition). Son œuvre remplit une vaste salle. Elle est constituée par l’alignement des formes vides et encapuchonnées de 240 (24 lignes de 10) personnages prostrés dans des attitudes de méditation ou de prière. Cette œuvre dégage une atmosphère mélangée de recueillement et d’enfermement. Ces formes sans visage se sont totalement dépersonnalisées, chacune d’entre elles n’est plus que l’élément d’un groupe, chacune des personnalités a été anéantie pour que seule subsiste la sensation de la collectivité. Là aussi, il s’agit d’une belle œuvre critique dont certains détails, comme l’empreinte sur le moulage de chaque dos courbé des colonnes vertébrales ployées, font que le principe de soumission devient physiquement sensible.
Kader Attia, © Droits réservés
Cette exposition manifeste l’ouverture de la scène artistique internationale aux productions et aux artistes du monde entier et donc sa « mondialisation ». Cette mondialisation a des aspects positifs quand elle s’attache, avec générosité, à faire connaître des artistes qui appartiennent à des cultures qui, hier encore, ne faisaient pas partie du monde de l’art contemporain, cantonné à une géographie limitée à l’Europe et aux Etats-Unis. On se souvient, à cet égard, de l’émerveillement qu’avait suscitée les expositions « Les magiciens de la terre » de Jean-Hubert Martin ou « Le Japon des avant-gardes » de Germain Viatte, au Centre Pompidou.
Magiciens de la terre, © Droits réservés
La même mondialisation peut cependant aussi procéder de démarches plus intéressées, voire plus mercantiles, quand il s’agit d’ouvrir « l’approvisionnement » du marché en œuvres nouvelles ou en veillant, par des marques d’intérêt à l’égard de nouvelles scènes, de flatter la sensibilité de possibles nouveaux acheteurs ou collectionneurs issus des mêmes territoires. A l’heure où le monde arabe manifeste un véritable engouement pour des projets culturels de grande envergure, l’intérêt porté par la scène institutionnelle, les collectionneurs et le marché, à des artistes issus de ce monde peut apparaître comme une marque d’équitable et légitime intérêt mais peut aussi relever d’une stratégie plus utilitaire et donc, de l’instrumentalisation de la curiosité.
Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que, si cet ensemble d’œuvres est inégal, il s’en dégage quelques vrais tempéraments artistiques. Je m’arrête longuement devant une œuvre de Sun Yuan et Peng Yu, intitulée « Old person’s home ». Elle est constituée de treize effigies humaines (des vieillards) hyperréalistes, portant, (à l’exception d’un homme vêtu d’un costume « mao ») des tenues caractéristiques du Proche-Orient, costumes occidentaux, keffiehs palestiniens, soutanes de pope grec, uniformes militaires... Ces vieux dans leurs guenilles sont assis dans des chaises roulantes. Ils sont infirmes et attendent la conclusion de leur sort dans une maison de retraite. Les chaises roulent doucement, se heurtent (comme des auto-tamponneuses au ralenti) et modifient alors leur course. C’est à la fois tragique et réconfortant. Tous ces hommes qui se veulent différents et qui se sont battus, sont pareils face à leur destin ultime. Ils se ressemblent terriblement malgré les différences de leur mise. C’est une métaphore puissante des drames du Proche-Orient.
En arrivant à la Gare du Nord, je suis une nouvelle fois frappé par la tristesse de Paris. Le tissu urbain est « fatigué » et la ville peu tonique. On a enfermé Paris dans une frileuse petitesse, acceptable quand ce modèle de « ville à échelle humaine » est bichonné et qu’il devient quasiment folklorique, suffoquant quand s’y dévoilent les difficultés du temps et les conséquences de tous les refus d’une modernité résolue qui ont souvent caractérisé les politiques publiques, municipales ou nationales. On aimerait que l’audace s’empare à nouveau de Paris et qu’on sorte cette ville de la « médiocrité », au sens propre du terme, dans laquelle on a voulu la cantonner.
je partage entièrement votre pensée cher ministre, je regrette l'époque à laquelle vous étiez au centre G. Pompidou, vous m'aviez permis de présenter mon défilé performance mettant en scène la situation ambiguë des femmes musulmanes (juillet 2001)
Paris a besoin d'audace et d'ouverture.
Rédigé par : Majida Khattari | 16 février 2009 à 22:52
Chère Majida,
Votre message me fait un immense plaisir.
Appelez-moi au château. J'aurai grande joie à bavarder avec vous.
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 18 février 2009 à 18:22