Je tenais à voir l’exposition « Byzantium » à la Royal Academy. J’en profite pour revoir aussi au British Museum les salles consacrées aux antiquités romaines, britanno-romaines et aux invasions barbares.
Dans « Byzantium », je retrouve beaucoup d’objets familiers, dont ceux qui proviennent du trésor de Saint-Marc de Venise ou encore certains de ceux présentés à Palazzo Grassi dans « Rome et les Barbares ». C’est ainsi que j’ai, à nouveau, le plaisir d’admirer le buste de bronze de Constantin de Belgrade ou son effigie chevauchant une monture et piétinant des barbares vaincus sur un camée prêté par le même Musée national de Belgrade également. Plaisir identique de revoir le coffret byzantin de la cathédrale de Troyes, à vrai dire mieux présenté qu’à Venise (à Venise, sa présentation était frontale, alors qu’à Londres on peut, dans une vitrine isolée, en admirer toutes les faces).
Coffre byzantin de la cathédrale de Troyes, © Droits réservés
« Byzantium » est un assez impressionnant rassemblement d’objets exceptionnels, du premier, un relief représentant Jonas recraché par la baleine du musée de Cleveland, jusqu’au dernier, une icône du XIIe siècle du monastère de Sainte Catherine du Sinaï, représentant Saint Jean Climaque entreprenant son voyage céleste en escaladant une échelle dressée entre la terre et le ciel. Cette accumulation de chefs- d’œuvre venus, en général, des plus grands musées du monde (Louvre, British, Vatican, Metropolitan…) ne rend cependant pas la compréhension de cette histoire de plus de mille ans (330 – 1453 !) aisément accessible à qui n’en est pas familier. On ne comprend pas comment, l’empire ayant quitté Rome, Constantinople a entendu l’incarner tout entier. On ne comprend pas la résistance permanente de cet empire, à toutes ses frontières, contre les goths, les perses, les bulgares, les latins, les arabes et, in fine, les turcs… et sa résignation à la progressive réduction de son territoire, les reconquêtes de Justinien (483 – 565) incarnant l’éphémère et impossible désir de reconstituer l’imperium de Rome. On ne comprend pas non plus le poids sur cette histoire des innombrables querelles théologiques, notamment celles sur la nature du Christ ou sur le culte des icônes qui l’ont jalonnée. On aurait aussi aimé mieux mis en valeur la force du modèle que Byzance offrit aux mondes contemporains, aux royaumes barbares d’Occident, Childéric se faisant ensevelir dans un manteau de pourpre avec une monnaie de l’empereur Zénon, la Reine ostrogothe Amalasuntha se faisant représenter (ivoire du Bargello) comme une impératrice byzantine, l’Empereur Otton se faisant, lui, représenter avec sa femme, Théophano Skleraina, couronnés par le Christ (ivoire du Musée de Cluny), comme le faisaient les couples impériaux de Byzance. Pendant mille ans, malgré son déclin et sa décrépitude, cet empire aura ainsi manifesté la fragile survie, dans la civilisation occidentale, de l’une des représentations idéales de la perfection du monde : Rome. Constantinople avait beau être devenue orientale et grecque, elle incarnait toujours la pérennité sensible de Rome dont Rome était elle-même privée depuis la déposition en 476 du dernier empereur d’Occident, Romulus Augustule. La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 faisant, l’empire se réfugia dans l’Empire Saint et Germanique reconstitué en Occident et dont la disparition en 1806 ne signifia cependant pas la mort définitive de Rome qui trouva, dans l’Empire Français, ivre de références romaines, l’expression d’une nouvelle jeunesse.
Ces quelques réserves mettent le doigt sur la difficulté des expositions artistico-historiques. Ou bien c’est la dimension artistique qui l’emporte et on en vient à oublier le besoin de « dire » l’histoire. Ou bien la préoccupation d’une pédagogie forte de l’histoire est prépondérante et la qualité ou la rareté des objets présentés peut devenir accessoire. C’est ce qu’avait compris Louis-Philippe quand il donna corps aux galeries historiques du château de Versailles. Ce qui comptait à ses yeux, c’était l’image plus que l’œuvre, d’où le choix de recourir largement à des copies d’oeuvres historiques insignes ou de faire procéder à la reconstitution, ex-nihilo, par des artistes contemporains, d’une imagerie historique, ce qui produisit parfois de vrais chefs-d’œuvre.
Ce qui me frappe dans cette lente mélopée mortelle de la civilisation byzantine, c’est son besoin de tout sublimer. C’est elle qui donna sa consistance théologique et philosophique à la sublimation de Jésus en Dieu, de Marie en mère de Dieu, de la sublimation politique de l’empereur en « évêque du dehors », en « majesté isapostolique », en représentant de Dieu sur terre puisqu’il convoque et préside même les conciles chargés de définir l’orthodoxie. Saints et dignitaires de la Cour finissent, comme dans les mosaïques de Ravenne, par être représentés de la même manière, sublimée elle aussi. Cette obsession est paradoxale parce qu’elle accompagne un irréversible et lent mouvement de décomposition dont elle tente de conjurer les effets.
La visite des sections européennes du British Museum permet de réaliser à quel point l’Occident pratiqua tôt et pendant longtemps l’art de l’accommodement et du compromis. Au IVe siècle, coexistent, en Bretagne, les traces iconographiques de la christianisation, comme dans cette mosaïque retrouvée à Hinton St Mary où un personnage divin est nimbé du chrisme, et celles d’un attachement persistant comme en atteste le plat en argent de Corbridge du IVe siècle également où Apollon, Athéna et quelques autres divinités se partagent la décoration de l’objet précieux.
Mosaïque d'Hinton St Mary, © Droits réservés
La prodigieuse Franks Casket du VIIIe siècle témoigne aussi de cet éclectisme religieux que la christianisation ne réprima jamais vraiment. Byzance n’oublia jamais celles de ses racines qui plongeaient dans la culture antique, mais ces références étaient culturelles et littéraires. L’Occident resta plus profondément marqué par ses sources pagano-barbares qui cantonnèrent le désir chrétien de sublimation dans l’enclos des cloîtres, des ermitages et des monastères ainsi que dans le rêve, vite réprimé, de la sainteté.
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