Kerviel
Un ami m’envoie ce SMS : « Lire Le Monde sur Kerviel. De toute évidence il a exercé une fascination érotique sur ses supérieurs, ses collègues, ses subordonnés… ». L’affaire tiendrait donc de la réédition de Théorème, ce chef d’œuvre de Pasolini qui m’avait bouleversé, film auquel l’Office catholique du cinéma avait, à l’occasion du Festival de Cannes, attribué son grand prix, voyant dans l’irruption de ce jeune homme dans la vie d’une famille qui se dérègle, l’image de l’irruption de la grâce, du don gratuit de la grâce, dans la vie des hommes…
Il ne faut pas sous-estimer la capacité émotionnelle de certains individus à bouleverser l’ordre rationnel, raisonnable, logique des choses. Certains « scandales » auxquels on tente de trouver des explications « normales » procèdent de dérèglements plus radicaux, plus profonds, plus essentiels, où la fascination qu’ils exercent, explique la confiance démesurée que portent à certains individus d’autres qu’on ne pourraient pourtant croire mûs que par la science de leur métier ou la conscience de leur mission. Ces dérèglements, d’autant plus violents qu’ils sont enfouis et refoulés dans le plus profond des choses non dites et à peine accessibles à la conscience, constituent cependant, l’Office catholique du cinéma avait raison, une vraie grâce qui nous délivre du risque des banalités trop bien programmées.
Plus tard, nouveau SMS du même ami à qui j’avais demandé l’autorisation de le citer dans ce blog. Il m’écrit « Bien sûr ! Un jour, par hasard, je me suis trouvé à une table de restaurant à côté de Kerviel. Il est totalement craquant ! »…. J’en déduis que cet ami a, de la même façon, succombé au charme de ce jeune homme que la photographie qui illustre l’article du Monde qui lui est consacré, met avantageusement en valeur.
Dimanche en Bretagne
Bel après-midi de dimanche. Temps doux et ensoleillé sur la Bretagne. A une amie de passage, je fais découvrir l’enclos paroissial de Saint-Jean-du-Doigt avec sa fontaine, son calvaire, sa chapelle funéraire blottis autour de la belle église à trois nefs dont la centrale frappe par son élévation impressionnante. Quel dommage que les tombes contemporaines en horrible granit vernis et aux formes « modernes » viennent altérer la perfection de ce paysage. Les Monuments Historiques et la Commune auraient été bien avisés de réglementer l’aspect de ces tombes en s’inspirant de ce que le XIXème siècle savait encore faire avec sobriété et bon goût. La tombe d’un recteur de la première moitié du XIXème siècle, calée contre le chevet du monument est un modèle de noble simplicité : dalle plate portant son texte gravé ainsi que les symboles de la fonction sacerdotales du défunt, notamment le calice.
Dans l’église restaurée, il y a une vingtaine d’années, on est frappé par la grâce légère, simple et profonde des vitraux réalisés par Louis-René Petit, maître verrier. Il ne s’agit pas de l’une de ces « stars » du monde des arts plastiques qui ont souvent, dans le cadre de la commande publique, réalisé de grands chefs d’œuvre – Pierre Soulages à Conques, Sarkis à Silvacane, Jan Dibbets à Blois, Jean-Pierre Raynaud à Noirlac – mais d’un maître verrier qui, animé d’une vraie sensibilité et d’une totale intelligence de son art, a réalisé là un authentique chef d’œuvre, d’autant plus éblouissant qu’il concerne toutes les verrières et toutes les fenêtres de l’édifice. Cette église exhalerait encore mieux son atmosphère de belle spiritualité si, progressivement, elle n’était envahie par des objets de dévotion de médiocre qualité artistique, parfois totalement incongrus comme cette reproduction d’icône russe ou grecque qui marque là le poids de cette mode orientalisante qui a envahi l’église catholique ignorante souvent du formidable legs artistique dont elle est dépositaire. Un peu de ménage dans le mobilier, la statuaire, les inévitables panneaux d’affichage et Saint-Jean-du-Doigt serait l’antichambre réelle d’un paradis des sens, de l’esprit et de l’âme.
Eglise de Saint-Jean-du-Doigt, © Yogi
Dans l’après-midi virée jusqu’à Carantec. La marée est basse. L’île Callot est accessible par la chaussée. Promenade jusqu’au bout de l’île avec Othello et Caramel ravis de gambader. On est enivré par la douceur naissante du printemps. Un arbre d’ornement est déjà recouvert de ses fleurs rouges. Dans la chapelle, deux plaques. L’une rappelle sa fondation en action de grâce pour la victoire obtenue par un prince breton, Riwallon Murmaczon, contre les danois et leur chef, Korsold, en 502. Une histoire d’invasion barbare donc…
L’autre plaque annonce en breton l’indulgence plénière accordée, en 1840, par Grégoire XVI, aux pieux visiteurs de cette chapelle. « Hon tad santel ar pab, Gregor XVI, a accord teïr guea’h er bloaz induljansiou plenier… ». La piété bretonne, comme celle de l’occident tout entier, fut hantée par cette faculté du successeur de Pierre de « lier et délier » et de permettre que des actes de piété, dûment codifiés, donnent un accès plus rapide au salut. La vie spirituelle était tendue par une impeccable comptabilité des mérites et des bienfaits qui en découlaient. Ce système transactionnel s’est effondré avec le déclin sociologique de la foi, comme il s’était déjà effondré dans l’Europe gagnée au protestantisme récusant le poids des mérites dans « l’économie du salut », salut exclusivement tributaire de la rédemption et de la grâce qui en découle.
Duchesse de Berry
Dans la soirée, j’achève la remarquable biographie de la Duchesse de Berry de Jean-Joël Brégeon (Tallandier). J’y retrouve Grégoire XVI, élu en 1830, et qui, en 1833, reçut la duchesse, devenue l’épouse du Comte Lucchesi-Palli, à peine libérée de la prison de Blaye où l’avait conduite sa tentative d’insurrection de la France légitimiste contre Louis-Philippe. J’aime ces hasards qui vous font rencontrer, dans la même journée, sans nécessité mais sans artifice, des personnages historiques ou littéraires, dans des registres, des situations, des contextes totalement différents, ici Grégoire XVI dans la biographie de Marie-Caroline, duchesse de Berry, et dans la proclamation d’une indulgence pour la chapelle Notre-Dame de l’Ile Callot… Il y a une forme de divagation poétique dans ces rencontres qui semblent brusquement donner un sens hermétique aux choses. Je raffole de ces tricotages d’indices dont je ne tire aucune conclusion autre que la rêverie littéraire qu’ils m’autorisent.
Au retour, halte au Grand Cairn de Barnenez, monument national comme l’indique le panneau de l’entrée. La visite du Cairn n’est plus possible à l’heure où j’y arrive. J’en profite néanmoins pour en faire le tour de loin, de manière à admirer, une fois encore, cet incroyable paysage de presqu’île, tout disposé à exprimer l’attente d’une éternité du monde, l’attente d’un temps suspendu au-delà de la mort de ceux qui y élirent leur sépulture.
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