Je dois dire que c’est avec satisfaction qu’on écoute Jospin et qu’on réécoute Seguin. Sans obligatoirement adhérer à chacun de leurs propos on est frappé par la cohérence, par la clarté, par la sincérité aussi du propos d’hommes politiques de cette trempe. Ça change heureusement de l’ordinaire du discours politique. Dans leurs propos, rien de cette trop courante vulgarité intellectuelle dont on croit devoir faire le ressort de l’habileté politique, voire de sa rouerie. On ne peut que regretter que le cours des choses ne leur ait pas permis de jouer un rôle plus éminent, plus déterminant en tout cas. Peut-être est-ce justement l’atypisme de leur personnalité politique qui en a été la cause, les confinant dans un espace de trop grande distinction inaccessible à la démagogie, cette mauvaise parente et trop fréquente compagne de la démocratie.
La plus grande partie de mon mandat de président du Centre Pompidou s’est déroulée sous « l’ère Jospin », premier ministre de 1997 à 2002. Pendant toute cette période j’ai pu apprécier la qualité et le respect de l’écoute que je trouvai dans l’entourage du premier ministre, de son directeur de cabinet, Olivier Schrameck, jusqu’à son conseiller pour la culture, l’excellent David Kessler. S’agissant des intérêts de l’établissement que je dirigeai, tous ne surent considérer que ce que dictait l’intérêt général sans jamais être tentés de me marquer de la défiance ou des réticences parce que j’étais réputé être « chiraquien ». Lionel Jospin me fit même le plaisir de me demander de l’accompagner à Madrid quand il s’y rendit pour visiter la foire d’art contemporain, ARCO, et y saluer les exposants français.
Les experts en roublerie politicienne ont souvent raillés la prétendue maladresse avec laquelle Jospin a un jour déclaré que « l’Etat ne peut pas tout faire », les plus bienveillants précisant qu’il aurait, dans le même temps dû indiquer ce que l’Etat devrait faire pour ne pas donner le sentiment qu’il entendait que l’Etat ne devait rien faire… (C’était à propos de la fermeture annoncée de l’usine Renault de Vilvoorde). Pour ma part, j’ai toujours eu de l’estime pour cette déclaration de Lionel Jospin, considérant qu’elle était courageuse et qu’elle répondait à la nécessité de repositionner, de façon honnête, l’horizon obligé de l’action publique.L’action politique a massivement investi les ressorts de la société de la communication et s’est, par ailleurs, notamment en France du fait des singularités constitutionnelles de la Ve République, terriblement personnalisée. Tout responsable politique est tenté d’accréditer l’idée qu’il sait tout, qu’il voit tout, qu’il peut tout et que rien n’échappera à son initiative et à son action. C’est ainsi qu’on a créé une attente démesurée du corps social à l’égard de l’action publique et de ceux qui gouvernent. Cette attente est souvent disproportionnée et inappropriée. En réalité, l’incapacité des gouvernants à tout gérer, à tout régler, à tout résoudre… suscite, en retour, d’effroyables désappointements et donc du désespoir, du mépris, de la haine même à leur égard. Elle alimente cette terrible versatilité de l’opinion, incompatible avec le principe même de la démocratie représentative qui suppose qu’un pacte d’une durée convenue soit conclu entre le corps électoral et ceux qu’il a désignés. Il y aurait, de ce fait, une vraie nécessité démocratique à repositionner dans l’esprit des citoyens le vrai et nécessaire champ de l’action publique, à résorber ainsi ce trop grand hiatus entre le discours et l’action, à restituer à cette action plus de discrétion et plus de pudeur sans pour autant qu’elle se retire sur un frileux Aventin. L’avenir de la démocratie française aurait à gagner à ce bouleversement des pratiques et des discours. Lionel Jospin, « l’austère », en avait pressenti la nécessité avec courage même si c’est avec maladresse. Peut-être faudra-t-il savoir lui en donner acte.
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