Belgique
Bruxelles est l’un de ces fronts où s’est, historiquement, stabilisé la ligne de partage entre les parlers germaniques et les parlers romans, un peu comme sur cette frontière plus agreste de la Moselle, dans la campagne qui s’étire entre la Nied allemande et la Nied française, ces petits affluents bien nommés de la Sarre (elle-même, rappelons le au lecteur peu géographe, affluent de la Moselle…).
L’Empire Romain avait fixé sa frontière septentrionale sur les rives du Rhin et du Danube, frontière fragile qui, rapidement, s’émoussa puis céda sous les coups de ce qu’il est convenu d’appeler les « invasions barbares », qui, dans cette région de l’Europe, furent, en fait, une Völkerwanderung (une « promenade des peuples ») germanique, dont nos Francs firent partie. Ce mouvement disloqua progressivement l’Empire et permit l’apparition de nouvelles entités politiques, des royaumes aux frontières mouvantes au gré des conquêtes, des mariages et des partages successoraux. On a là la genèse de l’Europe contemporaine. Un autre phénomène, culturel, se produisit alors, celui du partage des anciennes provinces romaines septentrionales, entre la domination des parlers germaniques, langue des nouveaux venus, et celle des parlers romans dont d’autres nouveaux venus firent leur langue, adoptant ainsi les usages linguistiques des autochtones romanisés comme ils allaient adopter leur religion, le christianisme. C’est ainsi que l’actuelle Belgique s’est répartie entre ce qui allait devenir le flamand (et l’allemand marginalement à l’est du pays) et le français. C’est cette répartition qui fonde aujourd’hui le fédéralisme belge, puisque de larges compétences constitutionnelles et politiques sont accordées à chacune des deux grandes communautés linguistiques. On sait la fragilité actuelle de ce dispositif et les tiraillements qu’il suscite dont Bruxelles est un enjeu tout particulièrement vif. Les Belges, tellement attachés au consensus, sauront-ils cependant en préserver le fragile équilibre ? On ne doit pas l’exclure. Récemment, Le Monde consacrait cependant un portrait à Paul-Henry Gendebien, chef du parti « rattachiste », réclamant le rattachement de la Wallonie à la République Française. L’article soulignait que si ce parti avait longtemps été marginal, il avait trouvé, dans les crises politiques récentes du pays, l’argument d’une nouvelle influence.
Ce qui m’a toujours frappé, c’est la profonde affinité culturelle qui lie ensemble les anciens pays Francs, ceux de la Belgique et ceux de la France du Nord, ceux donc des anciennes provinces romaines de la Belgique première et seconde. Rappelons que la Belgique première comprenait, depuis Dioclétien, les territoires des cités de Toul, de Metz et de Verdun ainsi que celui de Trèves. Si la cité de Trèves a basculé dans le monde germanique, le territoire des autres cités forme une partie non négligeable de l’actuelle Lorraine bien qu’à proprement parler les évêchés qui succédèrent à ces cités romaines ne firent jamais partie de la Lorraine ducale. La Belgique seconde regroupait, elle, un vaste territoire à cheval sur la France du nord et la Belgique actuelle puisqu’on y retrouvait, à la fin de l’Empire, les cités de Reims, Soissons, Vermand, Arras, Senlis, Beauvais, Amiens, Cambrai, Boulogne-sur-Mer, Châlons-en-Champagne ainsi que la Civitas Morinorum, la cité des Morins dont la capitale avait été Thérouanne. On s’y sent aujourd’hui encore dans le même monde et on aurait pu imaginer, qu’un autre cours de l’histoire faisant, celles des cités romaines étant restées ancrées dans les parlers romans, forment, ignorant les actuelles frontières, un autre pays ou une autre partie de pays cohérent. N’est-ce pas d’une certaine manière ces réalités historiques profondes que traduisent les actuelles « euro régions » débordant les frontières de la France, de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Belgique ?
Cette réflexion nous renvoie d’une certaine façon à la question de l’organisation territoriale des régions françaises qui doit prendre en compte toutes les données de l’histoire, de la géographie, de l’identité culturelle, ainsi que celles issues de ces nouvelles solidarités territoriales que créent les voies de circulation.
Au génie d’organisation territorial de l’Empire Romain, saurait-on aujourd’hui donner la réponse du génie contemporain ? Ce serait peu probable si on prenait le parti de ne compter que sur la seule bonne et libre volonté des collectivités locales actuelles pour y parvenir. La pente naturelle de toute organisation est de se conserver. On aura, dans l’histoire, rarement vu des sociétés, des empires, des territoires se réorganiser volontairement et paisiblement.
Rêveries territoriales (suite)
Chacun pourrait cependant s’autoriser, dans la solitude et le confort de son cabinet, sans avoir de compte à rendre à qui que soit, s’adonner à une rêverie géographique, en suscitant, par un coup de crayon, de nouvelles compositions régionales. Pourquoi ne pas imaginer, sur le flan nord de la France, trois grandes régions seulement. Autour du massif des Vosges, une Alsace-Lorraine regroupant le Bas et le Haut-Rhin et les Vosges ainsi que la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, revenues à leurs frontières d’avant 1870. S’y juxtaposant et incluant la totalité du massif de l’Argonne, une Champagne-Ardenne élargie au département de la Meuse et au département de l’Aisne, hors l’arrondissement de Saint-Quentin, confié à un Nord-Pas-de-Calais étendu à la Somme… On voit d’ici les réactions que susciterait une rêverie de ce type puisqu’elle s’en prendrait, non seulement au tracé actuel des régions mais aussi à celui de quelques départements.
Avant de quitter Bruxelles, quelques pas encore dans cette ville étrange et excitante. S’y côtoient, dans de nombreux collages, les choses les plus étrangères les unes aux autres. Avenue de la Toison d’Or, l’église des Pères Carmes jouxte le « studio 44 », boîte de nuit qui annonce un « showcase » les jeudis. Sur la façade très dégradée de l’église du XIXe siècle, l’annonce d’une exposition sur les vies de saints et notamment Thérèse de Lisieux… Contraste.
En route pour Paris. Le Thalys arrive de Cologne. Je crois y reconnaître Michel Houellebecq. Les trains sont décidemment des lieux de rencontre.
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