L’une des œuvres de Murakami, Flower Matango, est présentée à l’extrémité de la galerie des Glaces, sous l’un des panneaux peints par Lebrun, représentant l’armure de Samouraï qui fut offerte au Roi Soleil et qu’il conservait dans ses collections. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je peux affirmer que Takashi Murakami a bien sa place à Versailles mais le clin d’œil est tentant. Murakami à Versailles c’est, tout d’abord, l’expression du fait que l’art contemporain y a, lui aussi, une place. Monument historique, musée d’histoire depuis Louis-Philippe, musée d’art depuis la fin du XIXe siècle, le château de Louis XIV est bien, comme tous les monuments nationaux, invité à participer à l’ouverture aux arts de notre temps si brillamment inaugurée par André Malraux lui-même et poursuivi par ses successeurs rue de Valois. Chagall concevant des vitraux pour la Cathédrale de Reims ou Pierre Soulages des vitraux pour Conques, s’inscrivent dans ce mouvement nécessaire. Prétendre que le château de Versailles en serait exclu est irrecevable et traduit le fait que certains voudraient lui dénier sa qualité intrinsèque de lieu de culture vivante pour n’en faire que le reliquaire formolisé de nostalgies politiques épuisées.
Versailles n’est pas un lieu mort. La mort qui y a si souvent frappé en était d’ailleurs symboliquement banni sous l’Ancien Régime. Ce n’est ni un lieu de pénitence, ni un lieu de repentir. Versailles a été voulu pour la représentation du pouvoir, fonction qui survit d’ailleurs dans l’affectation de l’Aile du Midi à l’organisation des Congrès du Parlement, mais aussi pour la fête et pour les arts, ou plus exactement pour le mariage jubilatoire des arts et de la fête.
C’est à cette personnalité de Versailles que je suis fidèle en y recevant, de façon tonique, les expressions artistiques de notre temps, en y recevant Koons, Veilhan, Murakami, Christophe, Emmanuelle Huynh, M et Vanessa Paradis. Encore faudrait-il rappeler à ceux que cela indispose que, dans le même temps, j’y reçois aussi William Christie, Marc Minkowski, Hervé Niquet, John Eliott Gardiner, Jordi Savall et tant d’autres interprètes des musiques anciennes. Peut-être faudrait-il leur rappeler aussi que si, ponctuellement et une fois l’an (!), Versailles invite un plasticien contemporain, l’établissement que je dirige consacre, tout au long de l’année, et je tiens à le dire comme jamais, des efforts et des moyens immenses au patrimoine, à sa conservation, à son enrichissement, à son étude, à sa présentation au public. Dans quelques jours, c’est le Grand Couvert de la Reine restauré qui sera ouvert au public. Quelques semaines plus tard ce sera à l’exposition « Sciences et curiosités à la cour de Versailles » d’ouvrir un pan nouveau de la connaissance de l’histoire du château. C’est dans cette richesse que réside le véritable amour de Versailles. Il résulte de la fidélité et de l’audace à la fois, du respect de la lettre mais aussi de l’esprit. Alors que ceux qui veulent me donner des leçons et parfois affichent de navrants préjugés, en fassent autant et ils pourront alors, avec quelque légitimité et crédibilité, entonner « Versailles, mon amour ».
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