Le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et de la Communication vient de rendre publique une intéressante étude intitulée « culture et médias 2030, prospective de politiques culturelles ». Passionnant ce propos qui consiste à se projeter vingt ans en avant et à se demander en quoi pourront bien alors consister les politiques culturelles de l’Etat et de quels instruments il devra disposer pour les mettre en œuvre efficacement. Je sais bien que vingt ans c’est un néant à l’égard de l’infini et un infini à l’égard du néant et qu’il serait aventureux de se livrer à un tel exercice de prospective dans l’ignorance, ou plus exactement dans l’incapacité de prévoir toutes les données nouvelles qui marqueront l’évolution du paysage culturel et, surtout, d’imaginer ce que seront, à cette échéance, les choix démocratiques que les citoyens auront fait, et qui détermineront nécessairement les orientations des politiques culturelles comme celles de toutes les autres. Cela dit, l’exercice mérite d’autant plus d’être tenté qu’il repose sur une analyse très documentée de la situation actuelle.
Pour ma part, je crois que cet exercice doit, avant toute chose, se souvenir du bilan des vingt années qui ont précédé 2010, la date de référence. Qu’on considère tout d’abord, que pendant cette décennie, le ministère de la Culture et de la Communication aura connu neuf titulaires (Jack Lang, Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy, Catherine Trautmann, Catherine Tasca, Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel et Frédéric Mitterrand en fonction depuis 2009…, sans évoquer les secrétaires d’Etat qui les ont accompagnés dans leurs missions). C’est dire la volatilité de la responsabilité ministérielle de ce département, encore que sa situation ne soit à cet égard pas plus fragile que celle d’autres ministères, notamment le ministère des finances dont la stabilité semble toutefois, depuis quelque temps, garantie par la longévité de Christine Lagarde. Cette « volatilité » permet de comprendre l’incertitude qu’on peut parfois éprouver à l’égard de l’avenir même du ministère de la culture, incertitude que j’évoquais dans une interview donnée au Monde il y a quelques années. Je suis encore impressionné par l’émotion que cette interview avait suscitée et par la confusion qui s’était alors exprimée entre la question de l’existence du ministère de la Culture et celle de l’opportunité des politiques culturelles de l’Etat. Depuis, je n’ai cessé, avec une énergie constante, de préciser :
• que j’étais radicalement attaché à la pérennité des politiques de l’Etat en faveur de la Culture,
• qu’on pouvait, in abstracto, imaginer un Etat mettant en œuvre des politiques culturelles sans disposer d’un ministère de la Culture à proprement parler, comme ce fut d’ailleurs le cas avant 1959,
• que, de façon pragmatique, il valait toutefois mieux ne pas mettre en cause l’existence d’un département ministériel ad-hoc, et cela d’autant plus qu’il est devenu dans notre pays hautement symbolique,
• que cela ne dispensait toutefois pas de s’interroger sur le périmètre, les missions, les moyens de ce ministère.
La pire des choses serait de s’enfermer dans une sorte de pieuse bigoterie qui reviendrait à considérer le ministère de la rue de Valois comme une vache sacrée, intouchable, dont l’existence consisterait une fin en soi, quel que soit l’usage qu’on en ferait. Ici, comme ailleurs, l’esprit me semble préférable à la lettre. Il faut donc savoir réfléchir et bousculer parfois de trop faciles certitudes. Le travail du département des études, de la prospective et des statistiques nous y aide.
Si on se retourne sur les vingt années écoulées, on mesure à quel point le paysage culturel aura été bouleversé. Il aura pris acte des effets de la mondialisation marquant de nombreuses pratiques culturelles et donnant aux industries culturelles une position nouvelle. Il aura du s’accoutumer au processus d’accélération de l’internationalisation et surtout de l’européanisation des normes. Il aura amplifié le rôle que les collectivités sont appelées à jouer dans le dispositif de soutien public à la culture, que ce soit de leur propre chef ou du fait des lois de décentralisation. Il aura, je le crois utilement et irréversiblement, bénéficié de la délégation de plus en plus systématique de larges responsabilités par l’Etat à ses « opérateurs », notamment les établissements publics. Il aura du à la fois bénéficier de l’avènement de la société de la communication et avoir parfois le sentiment de devoir en subir les effets. Dans le même temps, le ministère n’aura cependant pas renoncé à tenter de donner l’impression qu’il avait justement, comme au début des années 80, capacité et vocation à être sur tous les fronts, à la source de toutes les initiatives culturelles et de toutes les décisions, favorisant, l’évolution de ses moyens n’épousant pas celle de ses annonces, un véritable sentiment de frustration prompt à se transformer en déception. Le risque de désenchantement est fort, et ce n’est donc pas sans raison que le ministère de la Culture et de la Communication, réfléchit aujourd’hui à ses futurs possibles.
Pour ma part, je crois, j’espère, je sais, ce futur possible. Il exigera cependant qu’on réfléchisse au périmètre dans lequel s’inscrira, de la façon la plus efficace, le département « Culture » de l’Etat. Ce département n’est-il pas désormais un cadre d’action trop étroit même s’il parait patent que l’association de la Culture et de la Communication qu’il a élargie est bien rentrée dans les usages ? On peut d’ailleurs se demander si cette association est, de ce fait, devenue administrativement irréversible et si elle ne pourra être remise en cause, d’autres configurations de l’organisation de l’Etat apparaissant plus opportunes. Toujours est-il que s’agissant d’ouvrir des horizons au ministère de la culture, deux grandes options se présentent : ou bien on estime que la vocation première du ministère est de soutenir la production et la diffusion des œuvres de l’art et de l’esprit et il faudra prendre le parti de réunir l’action culturelle internationale au ministère de la rue de Valois, ou bien on estime que ce ministère a une vocation éminente à soutenir le « partage de la culture » et on ne pourra se dispenser d’envisager une relation fonctionnelle plus étroite avec le ministère de l’éducation nationale, l’école étant le principal espace d’acculturation de tous nos concitoyens. Dans tous les cas, ces deux solutions n’étant d’ailleurs pas exclusives, il faudra quand même reconsidérer le périmètre de compétences des directions générales du ministère, issues de l’actuelle révision générale des politiques publiques. Ce périmètre est parfois taillé de façon insatisfaisante.
Je crois aussi nécessaire que le ministère réaffirme, plus clairement encore, et en quelque sorte affiche ce que sont ses missions, ses projets, sa politique, de façon à rompre avec l’illusion qu’il aurait vocation à être une sorte d’opérateur universel et omnipotent. Sa première mission, en tant que département de l’Etat, est de déployer son action normative, dans l’espace national naturellement mais aussi dans l’espace international, notamment celui, si déterminant, de l’Union européenne, ce qui suppose sans aucun doute que le ministère dispose, en son sein, d’un équipement diplomatique aigu et suffisant. Sa deuxième mission c’est, incontestablement, de soutenir et de développer ce qui constitue le cœur même de son dispositif d’intervention, c'est-à-dire l’ensemble des établissements nationaux dans lesquels s’incarne, de la façon la plus ancienne et la plus efficace, son action culturelle. Ces établissements nationaux, autonomes, doivent être considérés comme des atouts pour la France et non comme des obstacles pour le ministère. Enfin, je crois à la nécessité, pour donner aux politiques de soutien sur l’ensemble du territoire de l’efficacité et de l’équité, de les énoncer nettement à travers des programmes quinquennaux, assortis de moyens stabilisés. Ce sont ces programmes qui ont vocation à servir de support à la concertation de l’Etat et des collectivités locales et à leurs interventions partagées. Ils s’appliquent, à la fois à des structures permanentes (bibliothèques, musées, théâtres, conservatoires, festivals, etc…) dont la cartographie et les labels appelleraient une redéfinition, et à des initiatives thématiques. Le clair affichage de ces programmes garantira à la politique de l’Etat, la pleine capacité d’être à la fois compréhensible et intelligible.
J’ai bien conscience que tout cela n’est que très rapidement dit, dans l’espace d’un blog et que beaucoup de ces perspectives sont déjà esquissées dans les politiques mises en œuvre au cours des 20 dernières années. J’estime cependant, que chacun, en tout premier lieu l’Etat lui-même, aurait tout à gagner à une affirmation plus catégorique encore des choix, des méthodes, des orientations, des perspectives. Cela éviterait bien des malentendus et des confusions.
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