La célébration des grands Hommes et des anniversaires significatifs de notre histoire tient dans l’espace public de la France une place singulière. Cette place tient sans doute à la radicalité de la Révolution Française qui a voulu, un moment, abolir toute référence aux traditions et aux croyances qui pendant longtemps avaient, avec d’infimes nuances locales, soudé les sujets du Roi les uns aux autres. Le calendrier fut aboli, les saints proscrits, les fêtes interdites, les églises vandalisées, les tombes royales profanées, les témoignages des temps « de l’ignorance et de la féodalité » effacés… Il fallut inventer de nouveaux cultes, celui de l’Etre Suprême, et se donner de nouveaux héros. C’est ainsi que l’église Sainte Geneviève devint le Panthéon dédié à ces grands Hommes à l’égard desquels la Patrie se proposait d’être reconnaissante. L’anticléricalisme de la République triomphante de la fin du XIXe siècle se reconnut tout spontanément dans cette idéologie tout comme l’avait déjà, d’une certaine manière, fait la Monarchie de juillet en consacrant le château de Versailles à l’évocation de « Toutes les gloires de la France ». La République aujourd’hui dispose toujours d’un « Haut comité aux célébrations nationales » dont l’initiative récente de marquer le cinquantenaire de la mort de Céline a fait débat et, même suscité une polémique, vive au point où le Ministre de la Culture a annoncé qu’il décidait de supprimer ce projet de célébration.
Le problème tient, à n’en pas douter, à l’ambigüité même du concept de célébration. S’agit-il, à l’occasion d’un anniversaire, de promouvoir des études, des travaux, des initiatives culturelles ou alors d’en profiter pour désigner à l’attention des citoyens des modèles de talent, de vertu et de courage tout particulièrement distingués, un peu comme le fait l’Eglise catholique quant elle déclare l’un des siens bienheureux ou saint ? Il n’est d’ailleurs, à cet égard, pas inintéressant de souligner à quel point la République Française a souvent institué des rituels civiques qui sont en quelque sorte la reproduction des rituels religieux. C’est ce phénomène « décalcomanique » qui a fait de la Salle du Jeu de Paume à Versailles une véritable « chapelle républicaine », tout comme l’est le Panthéon parisien. C’est cette tentation qui a d’ailleurs peut-être, dans un premier temps, rendu suspect le projet de création d’un Musée de l’Histoire de France dans lequel certains ont soupçonné l’entreprise de construction délibérée d’une sorte de mythologie historique nationale officielle…
L’affaire est à ce point ambigüe qu’elle appelle de toute évidence une clarification. Le temps est peut-être venu de repenser le dispositif des « célébrations nationales », en renonçant peut être tout simplement à cette appellation qui semble inviter les Français à se réunir de façon positive autour de la mémoire d’un Homme ou d’un événement. Ne faut-il pas, de façon plus modeste, simplement élaborer un calendrier des anniversaires historiques qui donneront lieu à des initiatives culturelles et scientifiques. Le cinquantenaire de la mort de Céline relève de cette démarche dans la mesure où cet écrivain occupe incontestablement une place forte dans l’histoire de la littérature française du XXe siècle sans qu’il soit pour autant opportun de donner à penser qu’on pourrait sans inconvénient se proposer de « célébrer » l’auteur de Bagatelle pour un massacre ?
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