Le Comité de direction de l’Etablissement du lundi matin a été avancé de 10 à 9 heures, de manière à permettre aux directeurs de se rendre aux vœux de la Ministre de la Culture qui se dérouleront à l’Opéra Garnier, à midi. Ce comité de direction hebdomadaire permet utilement de « peigner » toutes les questions qui concernent, de manière prioritaire, la vie de l’Etablissement. Le « tour de table » invite les directeurs à faire partager à leurs collègues leurs réflexions et leurs préoccupations. C’est donc une instance de coordination pertinente et efficace. Elle me permet aussi, chaque semaine, d’apprécier à quel point le château de Versailles dispose d’une équipe de direction de bonne qualité et attachante. Je crois que nous avons su créer ensemble un vrai esprit d’équipe même si, ici ou là, on devine une possible tension entre des personnalités contraires. C’est le rôle du président que de faire prévaloir la concorde et le sens de l’intérêt général sur les inévitables froissements que peut connaître la relation entre des caractères différents au sein d’une équipe dont beaucoup de membres travaillent ensemble depuis longtemps déjà.
Je ne suis pas allé aux vœux de Christine Albanel. J’ai, en effet, pris le parti d’éviter, en ayant été en d’autres temps l’officiant, de me rendre aux cérémonies du Ministère, vœux et décorations notamment. Un ancien ministre se retrouve toujours dans une position un peu paradoxale quand il revient dans son ministère. Sa présence n’y est pas forcément agréable pour son successeur pour lequel elle constitue une sorte de « memento mori ». Autant il est normal et nécessaire que je me rende aux invitations du Ministre et de ses collaborateurs pour tout ce qui concerne l’exercice de la tutelle de l’Etat sur l’Etablissement dont j’ai la charge, autant j’estime pouvoir et devoir me dispenser de participer à des manifestations plus protocolaires.
Ministre, je m’étais interrogé sur la forme des vœux du Ministère. Ils sont ouverts à tous les agents, directs et indirects de ce Ministère, témoignant de l’époque où le Ministère n’avait pas encore délégué à des Etablissements de larges responsabilités. Ne faudrait-il pas, ceci étant et tous les Etablissements organisant de leur côté des cérémonies de vœux, limiter les vœux du Ministère aux seuls agents qu’il emploie administrativement et fonctionnellement lui-même, au sein de ses services, le Ministre, pouvant, par ailleurs, participer aux vœux de l’un de ses Etablissements, veillant à ce qu’ils soient ainsi tous visités à tour de rôle ?
On me rapporte que les vœux ont été perturbés par une manifestation de protestation. C’est dommage. Quelle que soit la légitimité de l’expression des contestations de la politique culturelle de l’Etat, que ce soit à travers l’action syndicale ou encore, de la part des citoyens, à travers toutes les formes de l’expression démocratique, il est, à mes yeux, nécessaire que les manifestations à caractère protocolaire – et les cérémonies de vœux en relèvent – restent marquées par un ton de cordialité polie. Cette politesse n’empêche ni la liberté de penser, ni celle par ailleurs, d’agir. Elle codifie l’inévitable âpreté de la divergence des opinions et des points de vue et fournit à la vie sociale des oasis de considération formelle réciproque.
En début d’après-midi, je me rends, avec les responsables de l’Etablissement concernés à la Ferme de Marie-Antoinette concédée depuis 1992 à la Fondation « Assistance aux Animaux ». Nous y retrouvons les responsables de cette Fondation : le Professeur Gilbert Mouthon, Secrétaire Général et professeur agrégé à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Mme Arlette Alessandri, Administrateur-Fondatrice chargée de Versailles, et M. Jean-Noël Alessandri, Président de la Fondation en charge de Versailles.
La Fondation qui a pris en charge la restauration de la Ferme qu’elle occupe, a permis la reconstitution, dans cette partie du domaine, de l’ambiance de cette campagne de théâtre voulue par Marie-Antoinette. Les écoliers que la Fondation reçoit sont ravis de pouvoir approcher ainsi des moutons, des chèvres, des volailles, le petit cochon noir… Nous évoquons, le vieux bouc à quatre cornes étant mort, le projet de la Fondation d’en trouver un autre. Marie-Antoinette avait déjà un bouc à quatre cornes… alors !
Ensemble, nous réglons, à la satisfaction de tous, un problème d’aménagement d’une sortie autonome pour les visiteurs vers « l’allée des Rendez-vous » qui longe l’arboretum et permet de se diriger vers la porte Saint-Antoine. L’architecte en chef, Pierre-André Lablaude, nous proposera le dessin de cet aménagement prochainement.
Claude Berri est mort. Je me souviens avec émotion de la passion très libre de cet homme pour l’art contemporain. Il était capable d’aimer follement Robert Ryman, de le collectionner avec subtilité, mais aussi d’apprécier cet artiste délicat et discret qu’est Fred Deux. Il aimait les œuvres par goût et passion, ne cédant jamais à l’ivresse superficielle et mondaine de n’aligner que les grands noms dont le marché s’était emparé. Il était animé - son regard en témoignait - par ces remous de la sensibilité et du caractère, que crée la conjonction, dans une personnalité, de la passion, des certitudes et du doute, cette immense vertu de l’esprit et du cœur.
Je m’étais attaché, au Ministère de la culture, à régler, de manière définitive, la question de la difficile relation entre l’Etat et la Cinémathèque Française qui prospérait depuis le choc des personnalités d’André Malraux et d’Henri Langlois. Grâce au sens de la responsabilité de beaucoup des membres du Conseil d’Administration de la Cinémathèque, nous avons trouvé un heureux compromis. C’est ainsi que la Cinémathèque Française a pu réformer sa gouvernance, et les modalités de sa relation avec le Ministère de la Culture, qu’elle a pu finaliser son installation dans le bâtiment de Frank Gehry à Bercy, se doter d’un nouveau et brillant directeur, Serge Toubiana et d’un président efficace et diplomate, Claude Berri.
Au cours des derniers mois, j’ai, de temps à autre, revu Claude Berri, dans un restaurant italien de la rue de Chambiges, le Stresa, où il avait ses habitudes. Toujours dans son regard, je mesurais la force des orages qui se disputaient son tempérament, la force de la rencontre entre ces masses de sentiments contraires que sont le désir de vivre et la prescience de la fin inévitable des choses. C’est dans l’interstice de ces sentiments que croissait la fragile fleur de son besoin de créer.
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