Samedi 16 novembre a été inauguré le bâtiment de Lacaton et Vassal qui désormais accueille, sur le front portuaire de Dunkerque, le FRAC Nord-Pas-de-Calais. Les architectes à qui on avait confié l’atelier de préfiguration n°2 des anciens chantiers navals de France, l’ont doté d’un bâtiment exactement jumeau par sa masse générale qui marque, sur ce territoire de reconquête urbaine qu’est Dunkerque, une prodigieuse volonté de renouveau. Que l’exposition d’ouverture porte pour titre "Le futur commence ici" n’est donc pas sans signification.
Ce FRAC fait partie de la "nouvelle génération" des fonds régionaux d’art contemporain, créés, il y a 30 ans, en 1982, par la volonté du ministre de la Culture, Jack Lang, qui souhaitait ainsi marquer la volonté de l’Etat, s’associant aux régions, de doter tout le territoire de structures capables de contribuer à la diffusion, dans l’espace public notamment, d’œuvres contemporaines. Son ministère poursuivait ainsi le projet engagé par Georges Pompidou, à travers la création d’un centre national d’art de de culture, de réconcilier les Français avec l’art de leur temps.
Le TGV met désormais Metz à 1h24 de Paris. Raison de plus pour y passer un ou deux jours. A la descente du train, on empruntera la sortie qui conduit directement au Centre Pompidou dont le magnifique bâtiment conçu par Shigeru Ban s’offre immédiatement au regard sur son esplanade bordée avec intelligence par un bâtiment-halle imaginé par Nicolas Michelin. Le Centre Pompidou-Metz est, en peu de temps, devenu le cœur et le moteur du développement d’un nouveau quartier dont le nom – quartier de l’amphithéâtre - rappelle qu’ici, s’élevait l’amphithéâtre de l’antique Divodorum mediomatricorum. Grâce à une initiative culturelle originale, la ville a repris forme sur un territoire qu’elle avait délaissé.
Au centre même, on visitera l’exposition Hans Richter, La traversée du siècle et celle consacrée aux villes de Hans Richter qui vécut de 1888 à 1976 et qui est donc le quasi contemporain de Picasso. Il faut noter que cette programmation a été élaborée par l’institution messine en collaboration avec le Los Angeles County Museum of Art. Grâce à la compétence de son directeur, le remarquable Laurent LeBon, le Centre des bords de la Moselle a trouvé sa place sur la scène culturelle nationale et internationale.
Il faut profiter des belles journées de ce mois d’octobre pour aller à Versailles et s’y promener dans les jardins. On y respirera cette douce mélancolie qu’a ressentie Marie-Antoinette en quittant pour toujours son "cher Versailles", le 6 octobre 1789 et qu’évoque si délicatement Sofia Coppola dans les dernières images de son film. On pourra aussi, entre le 22 et le 31 octobre, y profiter conjointement de l’exposition des œuvres de Giuseppe Penone si judicieusement disposées dans les jardins conçus par André Le Nôtre et de l’exposition consacrée à cet immense génie du Siècle de Louis XIV. On en profitera, bien sûr, pour visiter les grand et petit Trianon ainsi, que le hameau de la Reine. La maison de la Reine qui en occupe le centre, témoigne du besoin des Grands de la fin du XVIIIe siècle, y compris des princes, de se donner l’illusoire sensation de vivre "comme tout le monde", prélude à la prochaine remise en cause des privilèges ...
Cette chaumière construite par Richard Mique, désormais rongée par l’humidité, et frappée de divers maux, appelait depuis longtemps, malgré son charme intacte, une restauration radicale mais coûteuse. Cette restauration a heureusement trouvé son mécène, la maison Christian Dior dont la générosité souligne la longue fidélité de LVMH, et de ses sociétés au château et au domaine de Versailles. En 2011, c’est l’association de LVMH et de Sanofi qui avait déjà permis l’acquisition de cette "œuvre d’intérêt patrimonial majeur" qu’est la table à écrire de Marie-Antoinette, créée par Riesener en 1783. Versailles est ainsi le territoire pacifique où se conjuguent les générosités tant de Bernard Arnault que de François et Maryvonne Pinault qui permirent, en 1999, l’achat, à Londres, de la commode du même Riesener aujourd’hui présentée dans la bibliothèque de Louis XVI.
Laurent Le Bon aime à sortir des sentiers battus. N’avait-il pas accepté, en 2000, l’invitation de l’association des amis de Bagatelle d’assurer le commissariat d’une exposition consacrée aux nains de jardins ? Cette exposition allait télescoper l’histoire politique de Paris puisqu’elle fournit à Françoise de Panafieu, alors adjoint au Maire chargée des parcs et jardins et candidate à l’élection municipale, l’occasion de se livrer à quelques propos peu amènes sur le maire d’alors, Jean Tibéri, prestement ravalé au rang de nain de jardin, ce qui n’était pas agréable pour lesdits nains que Laurent Le Bon cherchait justement à réhabiliter.
A Metz, au Centre Pompidou, c’est une nouvelle fois, de façon singulière, l’histoire qui s’est emparée de l’esprit curieux de tout, du directeur de cette institution. Il propose à son public de parcourir, à travers quelques milliers d’œuvres et de documents, cette année 1917 qui fut si déterminante pour l’histoire de la guerre, pour celle du monde et, par-dessus le marché, pour celle de l’art. On le sait, trois faits majeurs marquent, cette année-là, le front des hostilités : les mutineries de soldats épuisés par de si longs et si cruels combats, la révolution russe qui allait ébranler le monde, tout en permettant à l’Allemagne de trouver un peu de répit sur son front oriental et l’entrée en guerre de l’Amérique qui, elle, allait soutenir la capacité de résistance puis d’offensive du front allié occidental. Pendant ce temps, la France continuait, tout en luttant, à se livrer au subtil jeu du tricotage et du détricotage de ses gouvernements. L’année 1917, ne fut-elle pas celle de quatre gouvernements, ceux d’Aristide Briand, d’Alexandre Ribot, de Paul Painlevé et, enfin, celui de Georges Clémenceau ? Pour soutenir l’effort de guerre, le gouvernement et l’assemblée surent faire feu de tout bois et même inventer une taxe sur les ventes d’objets de luxe ! Mais l’essentiel est peut-être ailleurs et, l’exposition le montre bien, puisque cette année fut celle d’une formidable fécondité de la scène artistique. Paris accueillait alors beaucoup d’artistes étrangers qui n’avaient pas vocation à prendre part directement aux combats alors que d’autres, comme Monet, étaient trop vieux pour y prétendre…
L’exposition 1917 dont je recommande la visite avec enthousiasme mais précaution puisque je suis président de l’association des amis du Centre Pompidou-Metz et qu’on pourrait donc me croire de parti-pris, porte bien la marque de ce talent très singulier qui anime l’activité de Laurent Le Bon. Comme il l’avait fait pour l’exposition inaugurale Chefs d’œuvres, il sait, avec une pertinence consommée, dans le même accrochage, associer des chefs d’œuvres et des œuvres réputés mineurs, des productions d’artistes consacrés mais aussi d’humbles productions d’amateurs, et, enfin des œuvres et des documents qui témoignent si puissamment de la violence et des espérances d’une époque. En visitant cette exposition, on ne peut pas manquer de se dire qu’elle renoue avec une autre histoire, celle des expositions pluridisciplinaires qui firent et font toujours la réputation de la maison-mère, le Centre Pompidou de Paris. Laurent Le Bon qui répugne à enfermer la compréhension de l’art dans des catégories chronologiques trop exigües pousse encore plus loin l’audace en n’hésitant pas à inviter un artiste d’aujourd’hui, en la circonstance Jean-Jacques Lebel, à contribuer à la meilleure compréhension possible du sujet. Son mur "d’objets de soldats" justement impressionne. Leur rutilance, puisqu’il s’agit de douilles d’obus transformés, fait face à celle de Princesse X de Constantin Brancusi et renoue avec la performance accumulative du mur de l’atelier d’André Breton rentré dans les collections du Centre Georges Pompidou grâce à la passion de Werner Spies et à la compréhension d’Aube Breton-Elléouët.
Le TGV vous conduit de Paris à Metz en une petite heure et demie. Le Centre Pompidou est à quelques dizaines de mètres de la gare. Après sa visite, ou l’on pourra également voir les remarquables expositions consacrées à Sol Lewitt et à Ronan et Erwan Bouroullec, on ne manquera d’aller jusqu’à la vieille ville pour y revoir la cathédrale dont l’élévation est vertigineuse, le musée de la Cour d’or ou l’on retrouvera le souvenir de la capitale mérovingienne que fut la ville, et le FRAC qui expose actuellement Doug Wheeler. On pourra également, en passant par la rue des Parmentiers qui fut celle de ma première enfance, entrer, en passant par la fenêtre, dans la galerie Octave Cowbell.
Il y a quelques années Metz était réputée être un désert pour la vie des arts. L’action publique parce qu’elle a été judicieuse et tenace, associée à quelques initiatives privées a rendu du fun a une ville où déjà Louis le Pieux aimait résider, au point où il y établit sa sépulture. Que le sort nous donne de nombreuses excitations messines avant qu’il nous invite à cette ultime extrémité !
Peu de bâtiments auront connu un feuilleton institutionnel aussi chaotique que le Palais de Tokyo construit pour l’Exposition internationale des arts et des techniques de 1937. Son aile dite de Passy fut affectée au musée national d’Art moderne naissant, alors que l’aile dite de Paris allait être confiée à un musée d’Art moderne de la ville de Paris. Cette décision engendra des décennies de querelles de domanialité sur la grave question de savoir où, sous la terrasse centrale, passait au juste la frontière entre l’État et la ville de Paris ! L’intégration du musée national d’Art moderne au centre Beaubourg qui aillait devenir le Centre Pompidou, ouvrait, pour le site, une longue période d’incertitudes et d’atermoiements où l’État se distingua par l’instabilité de ses choix, le Palais continuant d’ailleurs, pendant un bout de temps, à abriter certaines des collections nationales que les ayant droits de leurs donateurs refusaient de voir partir pour le plateau Beaubourg… Ce fut le cas pour les œuvres de la donation Rouault. Certaines installations y furent délibérément précaires, comme celle de l’éphémère Institut des hautes études en art plastique de Pontus Hultén. D’autres semblèrent promises à un bel avenir et répondaient d’ailleurs à de vraies nécessités, comme celle du Centre national de la photographie qui y prospéra de 1984 à 1993 ou celle, donnant d’ailleurs lieu à la mise en œuvre d’un vaste chantier conduit par Franck Hammoutène, de la Cinémathèque française et de la Fémis. L’incendie survenu dans la nuit du 24 juillet 1997 mit un terme à ce projet auquel Catherine Trautmann renonça définitivement. Diverses hypothèses d’utilisation du bâtiment dont son affection au "musée des Arts premiers" se bousculèrent jusqu’à ce qu’en 1999, le ministère de la Culture décide son affectation partielle, 8 000 m2 tout de même, à un centre d’art contemporain qui sera ouvert le 21 janvier 2002, dirigé par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, puis, à partir de 2006, par Marc-Olivier Wahler. La question du sort de la friche toujours disponible, plus de 15 000 m2, allait cependant entretenir le feuilleton. Devait-elle être confiée au "Site d’art contemporain" déjà installé sur place ou confiée à une institution tierce comme le Centre Pompidou qui y prétendra avec ferveur, ou encore, comme le préconisait Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques, à un projet de Kunsthalle consacrée à la scène française qui fut retenu par Christine Albanel. Les allers-retours ministériels sur le périmètre et les compétences de l’institution fédératrice du site et sur l’étendue des prérogatives culturelles de son président, poussèrent Olivier Kaeppelin vers la sortie du dispositif. C’est Frédéric Mitterrand qui, prenant acte, avec, dans le fond, satisfaction, du départ d’Olivier Kaeppelin vers la fondation Maeght procéda à la nomination de Jean de Loisy, en juin 2011. Quelle aventure ! Quel roman !
L’Abbaye de Saint Vaast d’Arras accueille une magnifique exposition des collections du Château de Versailles, « Roulez carrosses ». Cette exposition conçue sous la responsabilité de Béatrix Saule met en valeur la collection de carrosses, traineaux, chaises à porteurs du château de Versailles et bien sûr de toutes les œuvres peintes qui se rapportent à l’évocation des modes de transport du roi, de sa famille, de la cour des XVIIe au XIXe siècles, puisque l’exposition commence par l’évocation des voyages de Louis XIV dans les Flandres pour s’achever par celle des fastes de l’Empire et des régimes monarchiques du XIXe siècle.
Par un clin d’œil à l’histoire, l’exposition se conclue d’ailleurs très précisément par l’exposition de la calèche d’apparat du président de la République puisque, ne l’oublions pas, Versailles fut le lieu de l’élection des Présidents de la IIIe et IVe République. Ce qui est par-dessous tout significatif, c’est que cette exposition qui a donné lieu à une collaboration exemplaire entre les équipes de Catherine Pégard et celles du musée d’Arras et des collectivités locales impliquées, notamment le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, n’est pas un « one shot ». Elle inaugure en effet une longue collaboration dont le premier objectif est fixé à 10 ans, ce qui fait de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, le troisième établissement public du ministère de la culture, après le Centre Pompidou et le Louvre, à s’engager dans une action résolue de décentralisation. Je suis pour ma part fier d’avoir été, dans ces trois initiatives, à l’origine de l’impulsion qui en a permis la réalisation, comme Président d’un établissement s’agissant de Pompidou et de Versailles, comme Ministre s’agissant du Louvre et cela grâce à l’intelligence et la détermination d’Henri Loyrette.
La décentralisation culturelle m’est chère. J’estime qu’il n’est, pour l’Etat, de politique culturelle pertinente que si celle-ci manifeste sa volonté convaincue de prendre en main ses missions sur tout le territoire et au bénéfice de tous les citoyens. Ce projet suppose certes des moyens mais aussi une vision et une véritable capacité à engager avec les collectivités locales un dialogue constructif. Le temps n’est plus où le ministère de la culture pouvait, dans ses bureaux, de toutes pièces, concevoir des projets sans prendre en compte les points de vue, les propositions, la compétence de ces collectivités locales qui jouent, ou de leur propre mouvement, ou à travers les conséquences des lois de décentralisation, un rôle aussi important dans la vie culturelle de notre pays. L’Etat doit, plus que jamais de ce fait être un laboratoire d’idées et de projets, un espace de concertation, le moteur d’une nouvelle dynamique. Si le ministère, ses services et son administration centrale sont appelés à jouer dans ce processus un rôle déterminant, ils doivent également de façon originale, savoir libérer l’énergie des grands établissements et compter sur leurs capacités à engager, dans cette perspective, des projets inédits. Observons ce qu’est devenu le Centre Pompidou : une grande institution internationale dont le cœur bat à Paris, une institution réellement nationale grâce à sa politique audacieuse de prêts, de dépôts, grâce aussi au Centre Pompidou mobile et, surtout grâce à son antenne permanente dans le département de la Moselle, à Metz. Je sais que souvent l’Etat considère, avec perplexité et méfiance, l’esprit d’initiative de ces établissements dans lesquels tel ou tel ministre a cru voir le repaire de quelques grands féodaux qui menaceraient son autorité et sa gloire. Il faut sortir de cette idéologie de l’antagonisme et retrouver, rue de Valois le sens d’une solidarité de projet entre le Ministre, son cabinet, son administration, ses établissements et les acteurs locaux. Voilà bien pour l’après-mai, quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle et la personnalité de celle ou de celui qui sera appelé rue de Valois, une perspective riche pour qui attend des politiques culturelles de vrais indices de refondation. Puisse-t-on dans le même temps mieux réfléchir aux structures déconcentrées de l’action territoriale du ministère. Les DRAC, dans leur forme actuelle sont-elles encore l’outil le plus adapté à l’affirmation du caractère réellement national de l’action du ministère ? Ne faut-il pas, là aussi, oser repenser les choses et ne pas se contenter de perpétuer pieusement les usages en cours, même quand ils ont, en d’autres temps, manifesté leur efficacité. A cet égard, je suis persuadé qu’il y a désormais lieu de repenser la juste balance entre les outils de la déconcentration et ceux de la décentralisation, en marquant aux collectivités locales des marques de confiance accrues. Voyageant beaucoup en France, j’y suis toujours frappé par la force des personnalités qui y conçoivent des politiques culturelles et par l’esprit d’innovation qui les caractérise. Aujourd’hui c’est là, très souvent, qu’est le meilleur terreau d’une culture en train de se refaire.
Au cours des dernières semaines, j’ai été attentif aux discours relatifs aux projets culturels des candidats. Tous ou presque s’expriment sur ces questions, souvent avec une passion sincère, comme l’a fait François Hollande au Cirque d’hiver récemment. Je dois cependant avouer que je me suis souvent dit que les discours et les annonces avaient un peu de mal à se dégager des stéréotypes qui caractérisent le discours du politiquement correct en la matière. Je sais bien que dans une campagne, il s’agit plus souvent de rassurer que d’émouvoir. Je sais cependant, que le moment venu, à l’épreuve du gouvernement, il faudra oser regarder au-delà des limites de l’enclos et sauter quelques barrières.
Le musée Picasso d’Antibes vient d’ouvrir une remarquable exposition intitulée « Une moderne Antiquité. Picasso, De Chirico, Léger, et Picabia, en présence de l’antique ». Une fois encore est ainsi exploré le fameux thème du « retour à l’ordre » qui a notamment marqué les années 20 du XXe siècle de tant de productions artistiques et architecturales qui se réfèrent à l’Antiquité. Cette époque, si caractéristique de l’histoire de l’art moderne, avait déjà été mise en valeur, non sans une pointe de nostalgie, par Jean Clair, dans l’exposition organisée par le Centre Georges Pompidou, en 1980, « Les Réalismes ». L’exposition d’Antibes met, elle, l’accent sur le fait que ce « retour à l’ordre » qu’est le retour à l’antique n’a rien de régressif mais reste bien une démarche artistique moderne, tonique, innovante, puisqu’elle vise non pas à refaire de l’antique mais à s’emparer de références solidement installées dans la culture européenne et dont la luminescence – pour parler le langage de l’astrophysique – ne s’était ni altérée, ni éteinte, pour les revisiter de façon vivante et vivace. À cet égard, on pourrait dire de nos peintres qu’ils ont marqué le même état d’esprit que celui, enthousiaste, de ce philosophe du XIIe siècle, Bernard de Chartres, qui disait « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et des plus lointaines qu’eux, ce n’est pas parce que notre vue est plus aigue, ni parce que notre taille est plus grande, c’est parce que nous sommes élevés par eux. » L’Antiquité n’est donc pas un motif de frustration mais une source d’énergie pour ceux qui voulaient inventer encore, sans rien ignorer de ce qui les avait précédés. C’est ainsi d’ailleurs que dans l’histoire culturelle de l’Europe ont souvent eu lieu ce qu’on a appelé des renaissances, la renaissance carolingienne comme la grande Renaissance qui jette un pont entre le Moyen Âge et les Temps modernes.
Il n’est pas inintéressant de noter que ce sujet est d’une vraie actualité culturelle. Le Louvre avait, l’an passé, ouvert le ban avec « L’Antiquité rêvée ». Actuellement, les vieilles terres mérovingiennes accueillent deux expositions sur des sujets proches, le Forum antique de Bavay, dans le Nord, « Bulles d’Antiquité. Le monde romain dans la BD », pendant qu’à Namur, en Belgique, on peut voir « L’Antiquité de papier ». À la fin de l’année, ce sera le château de Versailles qui présentera « Versailles et l’Antique » que j’avais programmée alors que les Musées royaux de Belgique présenteront, à Bruxelles, « Jordaens et l’Antiquité ».
Ce qui est navrant, c’est que cette mise en valeur par tant de musées du caractère dynamique pour les processus de création artistique de références assumées et critiques à l’histoire, sont concomitantes d’attaques permanentes contre la place de l’histoire dans l’enseignement secondaire et donc dans la culture du plus grand nombre. Parfois, c’est une menace de faire disparaître l’histoire et la géographie dans les programmes des terminales scientifiques qui émeut l’Association des professeurs d’histoire et de géographie. Souvent, c’est l’édulcoration des programmes qui rend la compréhension de l’histoire tellement évanescente qu’elle perd de sa nécessité. À force d’érosion de la culture historique, on finira par rendre inaccessible au public la compréhension d’expositions comme celles évoquées plus haut.
Tout cela renvoie, au moment où on disserte sur les programmes culturels des candidats à l’élection présidentielle, à la question de savoir si on va enfin pouvoir considérer que la culture, ce n’est pas seulement les œuvres d’art produites par le génie de l’humanité et qui ont bien vocation à être mises à la disposition de tous, mais aussi le savoir, la connaissance, la capacité à réfléchir et à critiquer. L’exposition d’Antibes pose de façon utile la question du caractère global de la culture, ce grand chêne dont la tête au ciel est voisine et dont les pieds touchent à l’empire de tant de civilisations mortes, pour paraphraser le grand La Fontaine.
"Morlaix communauté" regroupe 28 communes de la baie de Morlaix, couvre 681 km² entre les Monts d’Arrée et la côte et rassemble environ 65 000 habitants permanents auxquels s’ajoutent l’été de nombreux touristes. Sur ce territoire on constate un formidable "désir d’art" alors même que l’action publique est lointaine, s’agissant de l’Etat, est parfois tournée vers d’autres objectifs - le patrimoine, les festivals, le spectacle vivant - s’agissant des collectivités locales. Il existe certes un musée à Morlaix, le musée des Jacobins, doté d’une intéressante parce que singulière collection. Cette institution patauge cependant, depuis plus d’une décennie, dans l’incertitude du calendrier de mise en œuvre d’un programme de restauration et d’équipement de son bâtiment. Son action se limite donc à la présentation thématique de la collection dans quelques petites salles accessibles au public. Son directeur Patrick JOURDAN vient d’ailleurs d’en partir, étant chargé de la mise en place et de l’animation de la fondation LECLERC qui ouvrira à Landerneau, dans quelques mois.
Le désir d’art s’exprime cependant à travers le choix qu’ont fait un certain nombre d’artistes de "vivre et travailler" sur ce territoire. C’est le cas de Catherine RANNOU à Plouezoc’h, de Guillaume CASTEL à Plouégat-Guerrand, de Laure CALVIÉ à Plougasnou, de Ricardo CAVALLO à Saint Jean du Doigt et d’autres encore. Souvent ces artistes animent des associations, parfois dotée par les collectivités de lieux de présentation d’expositions. Les Moyens du bord occupent ainsi la chapelle Saint Mathieu à Morlaix et étendent, sous la direction de Virginie PERRONE et de Luc GERVAIS, leur action à l’ensemble du territoire de la communauté d’agglomération. A Locquirec, l’été, c’est la galerie l’Ère du Large qui s’ouvre ainsi au public. A ce foisonnement associatif s’ajoute désormais celui d’une Fondation privée qui s’est installée dans une minoterie désaffectée, à Taulé, à l’initiative de deux amateurs, Valérie et Alain TANGUY. Une activité de Galerie d’art est même venue enrichir ce paysage. Depuis près de quatre ans, une jeune femme, Réjane LOUIN présente quatre expositions par an dans une petite galerie d’une centaine de m², blottie contre l’hôtel des Bains de locquirec qui servit de décor à l’Hôtel de la plage de Michel LANG... Actuellement, elle y présente les photographies de Catherine LARRÉ. Réjane LOUIN ne s’enferme dans aucun localisme. Les artistes qu’elle sélectionne viennent d’horizons divers. Elle-même, n’hésite pas à engager des initiatives croisées avec des galeries parisiennes. L’an passé, elle accueillait à Locquirec, quatre de ces galeries, Polaris, Anne BARRAUT, Semiose et Françoise PAVIOT. Cette année, c’est elle qui est invitée par Bernard UTUDJIAN, à la galerie Polaris, rue des arquebusiers. En 2011, la belle exposition "le papier à l’œuvre" conçue par Nathalie COURAL pour le Louvre, avait retenue parmi les contemporains, deux de "ses" artistes, Maelle LABUSSIÈRE et Dominique de BEIR. La galerie a été sélectionnée pour la prochaine édition du salon contemporain qui se tiendra au Carrousel du Louvre du 29 mars au 1er avril 2012. Elle y montrera notamment Olivier MICHEL.
Se rend-t-on compte, dans le confort des certitudes parisiennes, des montagnes de passion, de patience, de courage, d’endurance même qu’il faut savoir déployer pour ainsi réussir, de façon militante et donc admirable, à faire exister, loin de Paris, une vie artistique significative. C’est pourtant de cette manière que se tresse le maillage culturel du territoire. Avant d’arriver à Morlaix on aura pu s’arrêter à Lannion, à L’imagerie, centre photographique, et plus étonnant encore, à la galerie du Dourven à Tredez-Locquémeau. C’est ainsi que la Bretagne, ce cap lointain du monde vu de Paris, sait aussi vivre pour l’art. On s’en rendra mieux compte encore en consultant le site ACB (Art Contemporain en Bretagne) édité par une association présidé par Didier LAMANDÉ. Dommage simplement que ce répertoire de lieux ne retienne que les lieux publics ou associatifs et non un poumon aussi remarquable que la galerie Réjane LOUIN… On est là au cœur de cette vieille méfiance de l’action publique à l’égard des initiatives privées, parce qu’elles sont privées et parfois commerciales, comme si la culture ne passait pas aussi par le commerce de l’art quand il est passionné…
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