Pendant longtemps, on s’est plaint de la difficulté d’attirer les foules dans les expositions d’art contemporain alors que celles, à caractère historique, le fédéraient. Les choses ont changé. Déclin de la culture historique ? Insouciance à l’égard du passé ? Ou encore, passion véritable pour la création de notre temps ? On voit, en tout cas, au Grand-Palais, plus de visiteurs se presser à Bill Viola et Robert Mapplethorpe qu’à l’exposition "Moi, Auguste, Empereur de Rome", organisée à l’occasion du bimillénaire de la mort du fondateur de l’Empire romain. C’est pourtant, Auguste qui fait preuve de l’audace la plus grande, dans sa relation avec le public puisqu’on lui a ouvert un compte Twitter qui permet de savoureux échanges entre le maître de Rome et les internautes, dont la toile est désormais plus vaste que celle, en son temps, déjà considérable, de la voierie romaine recouvrant le monde de la Germanie à la Judée.
Ce qui est passionnant dans l’exposition, c’est qu’elle montre bien le caractère empirique de la construction du régime impérial par Octave, devenu Auguste. Empirique, parce que la l’édification de la quasi toute-puissance d’un homme sur les débris de la République repose, non sur un changement formel de "constitution" mais sur l’accumulation progressive et durable, sur la même tête, des principales magistratures et distinctions civiles et religieuses. Elle est aussi méthodique parce qu’Auguste et son entourage prirent soin d’établir, non seulement par les armes et l’administration mais aussi les arts, le règne incontestable du prince sur son Empire. "L’arme de la culture", pour employer un néologisme, c’est surtout le soin apporté à la diffusion, sur tout le territoire, jusqu’au fin fond de l’Egypte vaincue, de l’image codifiée et idéalisée de l’Imperator de façon à ce qu’étant partout reconnu, il soit connu et respecté. Ses bustes, s’ils donnent lieu, de la part des spécialistes, à de doctes distinctions selon l’ordonnancement des mèches de cheveux, imposent, de la Péninsule ibérique aux bords de la Mer noire, la même représentation de l’équilibre, de la sérénité et de la puissance. Corneille pourra justement écrire dans son Cinna, hélas trop peu joué, "Je suis maître de moi comme de l’Univers / Je le suis, je veux l’être…".
Avec la tradition de la photographie officielle du Président de la République qui orne les mairies, on a, en quelque sorte, renoué avec cette tradition de diffusion de l’image du Prince que notre Ancien Régime et nos deux Empires avaient pratiqué si intensément, ce qui fut fatal à Louis XVI à Varennes. La tradition républicaine n’a, cependant, pas su créer un stéréotype aussi puissant que celui des bustes d’Auguste. Charles De Gaulle et Georges Pompidou ont posé, debout, en habit et décorations, devant la bibliothèque de l’Elysée. François Mitterrand s’y est assis, en gourmand lecteur qu’il était. Nicolas Sarkozy y est revenu en y plantant des drapeaux. VGE a fait preuve d’une vraie audace, en posant devant un grand drapeau national déployé et en confiant son image, réussie, à Jacques-Henri Lartigue. Jacques Chirac et François Hollande sont descendus dans le jardin, par nostalgie peut-être, de la campagne corrézienne. Il y a fort à parier que tout cela laissera, dans 2000 ans, un souvenir moins éblouissant que ce chef d’œuvre qu’est le "Grand camée de France", représentant l’apothéose d’Auguste.
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