On vante le bilan touristique de Paris qui, même menacé par d’autres destinations, comme Londres, reste impressionnant. Se rend-on compte de la place que tiennent, dans ce bilan, les grands musées parisiens, le Louvre, Orsay, le Centre Pompidou, Branly et bientôt, le musée Picasso enfin sorti de ses travaux. Au cours des dernières décennies, ces musées ont certes bénéficié de politiques publiques volontaires, notamment en matière de travaux, mais aussi des effets dynamiques de leur transformation en établissements publics autonomes, dotés d’une large responsabilité financière et culturelle. C’est ainsi qu’ils ont su inventer une nouvelle manière de mettre en œuvre l’action culturelle publique. Le résultat est impressionnant : développement des ressources propres, accroissement extraordinaire des collections, expositions nombreuses et éblouissantes, diversification des publics de plus en plus nombreux, rayonnement international accru, présence accentuée sur tout le territoire, y compris à travers la création d’antennes comme le Centre Pompidou-Metz ou le Louvre-Lens. Le Centre Pompidou est, en ce moment même, en mesure de présenter à la fois, dans ses murs, à Paris, une exposition Henri Cartier-Bresson que tout le monde s’accorde à dire magistrale, à Metz, l’exposition "Phares" rassemblant des chefs-d’œuvre de sa collection et, à Kobe, au Japon, une autre exposition, "Les fruits de la passion", illustrant la générosité de la société des Amis du musée national d’Art moderne.
Et pourtant, on entend encore, ici et là, ce petit refrain lancinant, désignant les patrons de ces établissements comme des "féodaux" dont la puissance menacerait l’efficacité et même la grandeur de l’Etat. Au-delà de la personne de ses responsables, ces critiques visent le principe-même de l’autonomie des établissements qu’ils dirigent. Frédéric Mitterrand s’était, en son temps, fait une spécialité de ces mises en cause. Elles constellent, avec une certaine acrimonie, le fil des jours de son livre de souvenirs, La Récréation. Il est vrai que la succession des personnalités, souvent de premier plan, qui ont assumé la responsabilité de ces grands musées – pour n’évoquer qu’Orsay, Françoise Cachin, Henri Loyrette, Serge Lemoine et Guy Cogeval – peut faire blêmir d’envie bien des ministres qui n’accèderont que difficilement à leur réputation, à leur influence, à leur rayonnement et dont le propre bilan sera, in fine, bien plus maigre.
L’affirmation de l’autonomie des établissements publics a été l’une des expressions de la possible modernisation de l’action de l’Etat qui doit savoir s’affirmer comme organisateur, comme stratège diront certains, et non pas, à ses risques et périls, comme opérateur universel. L’efficacité de l’action publique a tout à gagner à, sans cesse, rapprocher la responsabilité de l’action du terrain sur lequel elle s’exerce. C’est ce que visent et les lois de décentralisation qui font confiance aux collectivités locales et la délégation par l’Etat d’une part de sa responsabilité à des opérateurs auxquels elle accorde sa confiance tout en les contrôlant avec discernement après avoir clairement énoncé les missions dont elle les charge. Il n’est pas inintéressant de constater que cette libéralisation éclairée de l’action de l’État suscite les critiques et les contestations des conservateurs de tout poil qui souvent ne sont pas là où on croirait les trouver.
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