Laurent Le Bon aime à sortir des sentiers battus. N’avait-il pas accepté, en 2000, l’invitation de l’association des amis de Bagatelle d’assurer le commissariat d’une exposition consacrée aux nains de jardins ? Cette exposition allait télescoper l’histoire politique de Paris puisqu’elle fournit à Françoise de Panafieu, alors adjoint au Maire chargée des parcs et jardins et candidate à l’élection municipale, l’occasion de se livrer à quelques propos peu amènes sur le maire d’alors, Jean Tibéri, prestement ravalé au rang de nain de jardin, ce qui n’était pas agréable pour lesdits nains que Laurent Le Bon cherchait justement à réhabiliter.
A Metz, au Centre Pompidou, c’est une nouvelle fois, de façon singulière, l’histoire qui s’est emparée de l’esprit curieux de tout, du directeur de cette institution. Il propose à son public de parcourir, à travers quelques milliers d’œuvres et de documents, cette année 1917 qui fut si déterminante pour l’histoire de la guerre, pour celle du monde et, par-dessus le marché, pour celle de l’art. On le sait, trois faits majeurs marquent, cette année-là, le front des hostilités : les mutineries de soldats épuisés par de si longs et si cruels combats, la révolution russe qui allait ébranler le monde, tout en permettant à l’Allemagne de trouver un peu de répit sur son front oriental et l’entrée en guerre de l’Amérique qui, elle, allait soutenir la capacité de résistance puis d’offensive du front allié occidental. Pendant ce temps, la France continuait, tout en luttant, à se livrer au subtil jeu du tricotage et du détricotage de ses gouvernements. L’année 1917, ne fut-elle pas celle de quatre gouvernements, ceux d’Aristide Briand, d’Alexandre Ribot, de Paul Painlevé et, enfin, celui de Georges Clémenceau ? Pour soutenir l’effort de guerre, le gouvernement et l’assemblée surent faire feu de tout bois et même inventer une taxe sur les ventes d’objets de luxe ! Mais l’essentiel est peut-être ailleurs et, l’exposition le montre bien, puisque cette année fut celle d’une formidable fécondité de la scène artistique. Paris accueillait alors beaucoup d’artistes étrangers qui n’avaient pas vocation à prendre part directement aux combats alors que d’autres, comme Monet, étaient trop vieux pour y prétendre…
L’exposition 1917 dont je recommande la visite avec enthousiasme mais précaution puisque je suis président de l’association des amis du Centre Pompidou-Metz et qu’on pourrait donc me croire de parti-pris, porte bien la marque de ce talent très singulier qui anime l’activité de Laurent Le Bon. Comme il l’avait fait pour l’exposition inaugurale Chefs d’œuvres, il sait, avec une pertinence consommée, dans le même accrochage, associer des chefs d’œuvres et des œuvres réputés mineurs, des productions d’artistes consacrés mais aussi d’humbles productions d’amateurs, et, enfin des œuvres et des documents qui témoignent si puissamment de la violence et des espérances d’une époque. En visitant cette exposition, on ne peut pas manquer de se dire qu’elle renoue avec une autre histoire, celle des expositions pluridisciplinaires qui firent et font toujours la réputation de la maison-mère, le Centre Pompidou de Paris. Laurent Le Bon qui répugne à enfermer la compréhension de l’art dans des catégories chronologiques trop exigües pousse encore plus loin l’audace en n’hésitant pas à inviter un artiste d’aujourd’hui, en la circonstance Jean-Jacques Lebel, à contribuer à la meilleure compréhension possible du sujet. Son mur "d’objets de soldats" justement impressionne. Leur rutilance, puisqu’il s’agit de douilles d’obus transformés, fait face à celle de Princesse X de Constantin Brancusi et renoue avec la performance accumulative du mur de l’atelier d’André Breton rentré dans les collections du Centre Georges Pompidou grâce à la passion de Werner Spies et à la compréhension d’Aube Breton-Elléouët.
Le TGV vous conduit de Paris à Metz en une petite heure et demie. Le Centre Pompidou est à quelques dizaines de mètres de la gare. Après sa visite, ou l’on pourra également voir les remarquables expositions consacrées à Sol Lewitt et à Ronan et Erwan Bouroullec, on ne manquera d’aller jusqu’à la vieille ville pour y revoir la cathédrale dont l’élévation est vertigineuse, le musée de la Cour d’or ou l’on retrouvera le souvenir de la capitale mérovingienne que fut la ville, et le FRAC qui expose actuellement Doug Wheeler. On pourra également, en passant par la rue des Parmentiers qui fut celle de ma première enfance, entrer, en passant par la fenêtre, dans la galerie Octave Cowbell.
Il y a quelques années Metz était réputée être un désert pour la vie des arts. L’action publique parce qu’elle a été judicieuse et tenace, associée à quelques initiatives privées a rendu du fun a une ville où déjà Louis le Pieux aimait résider, au point où il y établit sa sépulture. Que le sort nous donne de nombreuses excitations messines avant qu’il nous invite à cette ultime extrémité !
Chronique publiée dans le Quotidien de l'Art du 1 juin 2012
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