Dans un billet publié le 20 février dernier sur le Huffington Post, j’évoquais « l’effrayant assujettissement du destin… de notre pays à l’élection d’un seul individu »… Je crois utile de préciser ma pensée à ce sujet.
J’ai longtemps pensé que la révision de la Constitution de 1962, confiant l’élection du président de la République au suffrage universel avait été, malgré l’incontestable vice de procédure qui la caractérisa (le référendum sans vote préalable du parlement), un progrès pour la démocratie. Désormais le président ne serait-t-il pas élu par tous les Français ? L’évolution des institutions de la France et, surtout, celle de leur usage, me fait cependant concevoir de plus en plus de réserves à l’encontre d’un système si singulier dans l’Europe démocratique puisqu’il soumet l’orientation complète de la vie politique de notre pays au choix, à la sélection pourrait-on dire, d’un seul individu. Cela serait concevable si le président de la République n’exerçait qu’un magistère arbitral le mettant au-dessus de la mêlée. Il n’en est rien. L’instauration, par le réforme constitutionnelle du 20 octobre 2000, du quinquennat a, malgré la réforme du 23 juillet 2008 limitant à deux le nombre de mandats que le même élu pouvait exercer consécutivement, incontestablement favorisé l’hyper présidentialisation du régime. Le temps de la présidence impose de ce fait radicalement la prééminence de son rythme et de sa logique à ceux de toutes les autres instances élues. Nicolas Sarkozy, son tempérament faisant, accentua le caractère de monarchie républicaine de la République française. Comme l’avait voulu Louis XIV, en 1661, à la mort de Mazarin, le président élu en 2007, entendait bien « gouverner par lui-même »… La domination de la figure du président de la République, chef de l’État, chef des armées, chef de fait du gouvernement et même chef affiché de la majorité, a renforcé la place centrale et presque exclusive de son élection parmi toutes les autres, les élections législatives devenant, surtout depuis l’inversion du calendrier subordonnant les législatives à la présidentielle, des élections « conséquentes » au sens géologique du terme, c’est-à-dire des élections dont on attend qu’elles coulent dans le sens de la pente des couches géologiques qui déterminent structurellement le relief.
Cette singularité française a fini par empoisonner la vie publique, celle du pays, celle des partis, celles de la majorité et de l’opposition, puisque tous les débats finissent par se diluer dans la terrible question de savoir qui sera l’individu le plus désigné et le mieux armé pour incarner la pompeuse « rencontre entre un homme et un peuple », curieuse liturgie césarienne que certains continuent de vouloir investir de la fonction quasi sacramentelle de manifester l’élection providentielle de celui (ou celle) auquel il appartiendra de conduire le destin du peuple, le conducator en sorte !
Cette élection est, compte tenu de l’ampleur des prérogatives politiques dont bénéficie le président de la République, anachronique et même, d’une certaine façon effrayante. Elle dérègle le mécanisme même de la démocratie par l’inévitable primat qu’elle accorde à l’émotion, à l’illusion et à l’impression sur la raison. Le choix du premier magistrat de l’État qui en est devenu, par glissements successifs, une sorte de monarque républicain, finit par plus s’apparenter à un concours d’adresse qu’à un choix reposant, pour chacun des citoyens, sur l’évaluation raisonnable de ce qu’il estime être la pertinence, l’efficacité et l’utilité des programmes sur lesquels s’appuient les différents candidats. C’est le triomphe de la subjectivité alors même que la démocratie suppose le primat de la raison, cet attribut de l’Homme et du citoyen, réputé universellement partagé par tous ceux dont l’expression quand elle forme une majorité doit au mieux incarner l’intérêt général. À cet égard, un régime parlementaire, fondant sur la synthèse de quelques centaines de votes la détermination de la ligne politique d’un pays, est moins déraisonnable et donc moins fou qu’un régime qui désigne au choix d’un seul homme la même fonction. C’est pourtant cet exercice terrible et absurde qui depuis quelques mois et pour quelques mois encore, absorbe l’essentiel de l’énergie politique d’un pays comme la France, au point où même ceux qui sont hostiles au système sont obligés de s’y inscrire pour exister !
(+) Lire mon billet du 20 février 2012 sur Le Huffington Post
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