Le musée Picasso d’Antibes vient d’ouvrir une remarquable exposition intitulée « Une moderne Antiquité. Picasso, De Chirico, Léger, et Picabia, en présence de l’antique ». Une fois encore est ainsi exploré le fameux thème du « retour à l’ordre » qui a notamment marqué les années 20 du XXe siècle de tant de productions artistiques et architecturales qui se réfèrent à l’Antiquité. Cette époque, si caractéristique de l’histoire de l’art moderne, avait déjà été mise en valeur, non sans une pointe de nostalgie, par Jean Clair, dans l’exposition organisée par le Centre Georges Pompidou, en 1980, « Les Réalismes ». L’exposition d’Antibes met, elle, l’accent sur le fait que ce « retour à l’ordre » qu’est le retour à l’antique n’a rien de régressif mais reste bien une démarche artistique moderne, tonique, innovante, puisqu’elle vise non pas à refaire de l’antique mais à s’emparer de références solidement installées dans la culture européenne et dont la luminescence – pour parler le langage de l’astrophysique – ne s’était ni altérée, ni éteinte, pour les revisiter de façon vivante et vivace. À cet égard, on pourrait dire de nos peintres qu’ils ont marqué le même état d’esprit que celui, enthousiaste, de ce philosophe du XIIe siècle, Bernard de Chartres, qui disait « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et des plus lointaines qu’eux, ce n’est pas parce que notre vue est plus aigue, ni parce que notre taille est plus grande, c’est parce que nous sommes élevés par eux. » L’Antiquité n’est donc pas un motif de frustration mais une source d’énergie pour ceux qui voulaient inventer encore, sans rien ignorer de ce qui les avait précédés. C’est ainsi d’ailleurs que dans l’histoire culturelle de l’Europe ont souvent eu lieu ce qu’on a appelé des renaissances, la renaissance carolingienne comme la grande Renaissance qui jette un pont entre le Moyen Âge et les Temps modernes.
Il n’est pas inintéressant de noter que ce sujet est d’une vraie actualité culturelle. Le Louvre avait, l’an passé, ouvert le ban avec « L’Antiquité rêvée ». Actuellement, les vieilles terres mérovingiennes accueillent deux expositions sur des sujets proches, le Forum antique de Bavay, dans le Nord, « Bulles d’Antiquité. Le monde romain dans la BD », pendant qu’à Namur, en Belgique, on peut voir « L’Antiquité de papier ». À la fin de l’année, ce sera le château de Versailles qui présentera « Versailles et l’Antique » que j’avais programmée alors que les Musées royaux de Belgique présenteront, à Bruxelles, « Jordaens et l’Antiquité ».
Ce qui est navrant, c’est que cette mise en valeur par tant de musées du caractère dynamique pour les processus de création artistique de références assumées et critiques à l’histoire, sont concomitantes d’attaques permanentes contre la place de l’histoire dans l’enseignement secondaire et donc dans la culture du plus grand nombre. Parfois, c’est une menace de faire disparaître l’histoire et la géographie dans les programmes des terminales scientifiques qui émeut l’Association des professeurs d’histoire et de géographie. Souvent, c’est l’édulcoration des programmes qui rend la compréhension de l’histoire tellement évanescente qu’elle perd de sa nécessité. À force d’érosion de la culture historique, on finira par rendre inaccessible au public la compréhension d’expositions comme celles évoquées plus haut.
Tout cela renvoie, au moment où on disserte sur les programmes culturels des candidats à l’élection présidentielle, à la question de savoir si on va enfin pouvoir considérer que la culture, ce n’est pas seulement les œuvres d’art produites par le génie de l’humanité et qui ont bien vocation à être mises à la disposition de tous, mais aussi le savoir, la connaissance, la capacité à réfléchir et à critiquer. L’exposition d’Antibes pose de façon utile la question du caractère global de la culture, ce grand chêne dont la tête au ciel est voisine et dont les pieds touchent à l’empire de tant de civilisations mortes, pour paraphraser le grand La Fontaine.
Chronique publiée dans le Quotidien de l'Art du 24 février 2012
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