On m’a souvent interrogé au cours des dernières semaines quant à ma position sur l’Hôtel de la Marine. J’ai à chaque fois tenu à rappeler les raisons qui motivaient ma position à ce sujet.
L’Etat possède un important patrimoine immobilier. Beaucoup des immeubles qui forment ce patrimoine sont des « Monuments historiques ». Cette qualification, décidée par le Ministère de la Culture peut, rappelons-le, aussi bien distinguer l’intérêt artistique ou architectural d’un immeuble que son importance historique au sens propre du terme.
L’Etat a-t-il le devoir, par principe, de conserver la totalité de ce patrimoine ? Je ne pense pas. Il lui appartient, en effet, de distinguer de façon responsable entre :
1. les immeubles qui étant non seulement monuments historiques sont des témoins majeurs de notre histoire, ce qui signifie souvent des témoins de l’histoire de l’Etat et de la Nation. Ces biens doivent irrévocablement rester la propriété de l’Etat et ne peuvent être cédés en propriété ni à un tiers, ni même à une collectivité locale,
2. les immeubles « monuments historiques » ayant un intérêt architectural, artistique ou historique significatif mais ne relevant pas de la catégorie précédente et dont on peut, sur des critères bien précisés, envisager le transfert à une collectivité locale compétente et capable, étant entendu que cette collectivité doit s’engager à gérer ce bien convenablement et qu’elle ne peut l’aliéner. Je rappelle que c’est le processus que j’avais mis en œuvre comme Ministre de la Culture et de la Communication, après avoir créé, en 2003, une commission présidée par René Rémond. C’est ainsi que le Haut Koenigsbourg avait été confié au département du Bas-Rhin, le château de Chaumont-sur-Loire à la Région Centre, ou l’Abbaye de Silvacane à la commune de La Roque d'Anthéron,
3. les monuments historiques qui, ne relevant pas de l’une des catégories précédentes et qui n’étant plus utiles aux besoins directs de l’Etat qui les a souvent affectés au logement de ses services, peuvent légitimement être mis sur le marché de l’immobilier. Rappelons d’ailleurs que l’Etat ne possède qu’une petite partie des monuments historiques dont près de 50% appartiennent à des collectivités locales et près de 40% à des personnes privées. Le fait qu’un monument historique n’appartienne pas à l’Etat n’enlève rien à la capacité du Ministère de la Culture de le protéger et de concourir aux travaux de sa restauration.
La question de l’usage des monuments historiques qui appartiennent à l’Etat est donc une question qu’il faut aborder avec raison, pondération, respect pour le patrimoine et l’histoire, mais sans « bigoterie », en évitant des amalgames.
L’Hôtel de la Marine, ancien garde-meuble de la couronne, relève incontestablement de la première catégorie. A mes yeux, l’Etat ne peut ni le vendre à un promoteur privé, ni même le céder à une collectivité locale. Cette règle devrait d’ailleurs, par principe, s’imposer à tous les bâtiments et domaines qui, sous l’Ancien Régime, formaient les biens de la couronne et qui appartiennent encore à l’Etat. Ils sont les rescapés d’une histoire tumultueuse. Leur conservation au sein du patrimoine de la Nation, est un acte de nécessaire fidélité. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours été réservé à l’égard de l’idée de céder le Domaine national de Saint-Cloud au département des Hauts de Seine. Le symbole serait fâcheux.
Dans le même temps, j’estime que l’Etat a aussi le devoir de bien gérer le patrimoine qu’il conserve en distinguant entre les éléments qui :
1. ont vocation à servir aux usages de ses propres fonctions. A ce sujet, je suis triste de constater qu’on sous estime parfois la nécessité de conserver à l’Etat les attributs symboliques de sa fonction de représentation. Cela vaut pour les ministères, les administrations déconcentrées, les ambassades notamment. Un ministère ou une ambassade, ce n’est pas seulement une fonction, c’est aussi un symbole,
2. ont vocation à être ouverts au public et donc à constituer le cadre d’une activité culturelle ou l’objet même de cette activité. C’est le cas pour le palais du Louvre et pour le château de Versailles,
3. ont la capacité d’être affectés à des usages économiques ou sociaux utiles. A Versailles, en engageant la création d’un hôtel dans le Grand Contrôle et celle de logements sociaux dans la gendarmerie de Chèvreloup, j’ai pris le parti d’affecter des bâtiments qui se trouvent à la lisière du Domaine national de Versailles à des usages qui seront profitables à la collectivité et aux intérêts de l’établissement que je dirige.
Je préciserai que de tels projets ne peuvent que rarement être exploités par l’Etat ou ses établissements eux-mêmes. Ils n’en ont ni la vocation ni la capacité. Le recours à un tiers privé est judicieux et cela selon les modalités les plus adaptées aux circonstances : autorisation d’occupation temporaire (AOT), concession, délégation de service public (DSP) ou même, dans certains cas, partenariat public privé (PPP).
Dans le cas de la Marine, je ne crois absolument pas qu’il soit opportun d’envisager un projet culturel public pour l’ensemble du bâtiment comme je le lis parfois. Susciter des projets culturels nouveaux, c’est condamner, à budget constant, le Ministère de la Culture et de la Communication à l’implosion. La sagesse voudrait qu’on cesse, dans un contexte budgétaire tendu, de susciter des institutions nouvelles mais qu’on s’applique à faire vivre et à développer celles qui déjà forment le dense paysage culturel de notre pays.
Pour ma part, je ne verrais que des avantages à ce que l’Etat, restant propriétaire du vaste quadrilatère de l’Hôtel de la Marine, recherche un partenaire privé auquel il délèguerait, pour une durée définie, l’exploitation de l’ensemble en lui imposant cependant les conditions impératives suivantes :
1. affecter les parties présentant un caractère historique et patrimonial fort à une activité culturelle en association avec une ou des institutions culturelles publiques. Je me suis souvent demandé si, entre autres institutions, on ne pourrait pas songer aux activités publiques du Mobilier national, ce qui aurait du sens dans les bâtiments construits par Gabriel pour le garde-meuble du Roi…
2. affecter les parties plus banales de cet ensemble immobilier à des activités « douces », pourquoi pas des bureaux puisque le Ministère de la marine y avait installé les siens pendant des décennies ?
Il faut en tout cas sortir d’un débat qui est devenu très vif avec pragmatisme, sans fanatisme, sans a priori mais aussi sans vulgarité.
L'hôtel de la Marine est généralement présenté avec des inexactitudes historiques considérables, alors qu'il est un témoin exceptionnel de notre histoire. Entre autres inconvénients, ce manque de connaissances sérieusement établies fait que l'on confond très souvent ses salons redécorés au XIXe siècle avec les pièces exemplaires du XVIIIe siècle où l'on a établit des bureaux qui occupent des appartements datant de Louis XV et de Louis XVI. Le cloisonnement de pièces dessinées par Gabriel sur ses plans initiaux, pour servir au Garde-Meuble de galeries et de salles d'exposition, a permis de multiplier les petits bureaux ; ce qui autorise le ministère de la Défense à dénombrer 553 pièces (chiffre fantastique et presque incroyable) alors que des salles conçues par le premier Architecte de Louis XV sont partagées en une vingtaine de pièces et que des cloisons dressées dans les pièces de réception des appartements des officiers du Garde-Meuble les défigurent malgré que certaines aient conservé boiseries, huisseries, cheminée et trumeau. Non seulement ces "aménagements" dénaturent le plan de Gabriel, mais ils portent atteinte au caractère historique. Pour donner un exemple l'appartement de fonctions des ministres de la Marine, installé en bordure de la rue Royale de 1789 à 1801, est ainsi découpé bien qu'il ait été occupé par trois personnalités auxquelles ont été accordés les honneurs du Panthéon. On préfère dire que les procès-verbaux de l'exécution de Louis XVI ont été signés sur la grande loggia, plutôt que de désigner le lieu exact, pourtant bien connu des historiens. Et, l'ancien salon où s'est plusieurs fois réuni le Comité exécutif qui a gouverné la France à partir du 10 août 1792 compte ainsi pour trois pièces. etc. Autre exemple, on a laissé sans aucun entretien l'ancienne chambre du Directeur du Garde-Meuble, commissaire général de la Maison du Roi et premier valet de chambre de Louis XVI, pièce d'une célébrité internationale dont deux des dessus de porte (oeuvres de Ch. de La Fosse, intégrées aux boiseries) sont reproduits dans des livres d'art. Comment cela est-il possible ? Parce que elle est située au-dessus des remises à voitures et que cela n'a pas paru entrer dans "les parties nobles" de l'édifice. De la même manière une ancienne chambre dont les dessus de porte sont signés de l'un des Parrocel est devenue un obscur et subalterne bureau.
On répète que le Garde-Meuble de la Couronne était un lieu d'élaboration artisanale, en contradiction avec la vérité historique. On néglige aussi la place qu'a tenu le monument dans la préparation des découvertes maritimes du XIXe siècle et tout autant on oublie celle qu'il a eue dans l'histoire des sciences, depuis que l'abbé Bossut, maître de la science hydraulique et protecteur de Gaspard Monge, y a habité avant la Révolution jusqu'au jour où y ont été discutés les caractéristiques des navires à propulsion nucléaire, etc.
L'hôtel de la Marine, tout le monde en parle et bien peu de gens le connaissent vraiment.
Posted by: Jean Ducros
Rédigé par : Jean Ducros | 11 février 2011 à 21:13
Cher M Aillagon , votre point de vue est plus que pertinent et je le partage totalement .
Concernant les bâtiments de l'ancien Domaine Royal qui doivent rester propriété de l'Etat , je trouve que le fait de mettre en vente les différents pavillons de chasse de Gabriel est fâcheux : certes l'ONF qui les gérait jusqu'ici ne les a pas bien entretenus durant de longues décénies , mais ces belles constructions aux intérieurs intacts qui ont connus les bottes de nos souverains et situées dans nos forêts domaniales méritaient mieux que d'être ainsi bradées pour probablement devenir des demeures d'émirs inaccessibles...
Rédigé par : Alexandre | 12 février 2011 à 18:43
> Jean Ducros, Merci pour ces précisions. Cordialement
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 03 mars 2011 à 18:09