Le grand pavillon (comme dirait l’un de mes collaborateurs qui a été marin) tricolore flotte sur le corps central du château de Versailles, palais national. Le grand pavois flotte également sous l’arc de Triomphe où le président de la République Française et la chancelière d’Allemagne, Angela Merkel, rendent, ensemble, hommage au soldat inconnu et à l’ensemble des morts de la guerre, de la grande boucherie, de 14-18. A la fin de cette manifestation de l’amitié franco-allemande, l’Hymne à la joie est entonné par les chœurs de l’armée. Y alternent les strophes dans leur langue d’origine, l’allemand, et dans leur traduction française. Les belles paroles de l’ode résonnent sous l’arche qui, elle, rappelle, de manière triomphaliste, les victoires des armées de l’Empire napoléonien dans l’Europe toute entière.
Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt…Je me souviens de ceux qui, dans mes deux familles, paternelle et maternelle, sont morts « au champ d’honneur », de part et d’autre des lignes qui séparaient les belligérants, du frère de ma grand-mère, Anna Gertrude Schäffer, mort dans les armées de l’empereur d’Allemagne, du frère de ma grand-mère Magdeleine d’Arripe, mort dans les armées de la République Française. L’un habitait la Lorraine annexée depuis la défaite de 1870, l’autre la vallée d’Aspe, au pied du col du Somport. C’est ainsi que mes gènes portent la mémoire et le legs de ce grand déchirement de l’Europe et même de l’Humanité qui conduisit les hommes, les pauvres hommes, à l’abattoir et au meurtre, « la fleur au fusil » et les chants vengeurs à la bouche.
Ma grand-tante, Marie d’Arripe, épousa après la guerre, une « gueule cassée » de Verdun qu’on appelait « Tonton Jojo ». Défiguré, il faisait peur aux enfants. Son portrait était accroché dans ma chambre à Cette-Eygun. Etrange chambre pour un enfant : en plus du portrait de Jojo entouré d’un immense chapelet béarnais en buis, une commode était garnie de vases de cuivre que Jojo avait tirés de culot d’obus. Sur un autre mur le trophée d’un izard (le chevreuil pyrénéen) abattu dans la montagne par l’un de mes aïeux, grands nemrods devant l’Eternel me regardait, quand j’étais couché, d’un air inquiétant… Tout cela n’était pas très rassurant !
Ma grand-mère Schäffer, née en 1889, « annexée » donc, n’apprit jamais le Français, malgré sa « réintégration dans la nationalité française » en 1919, à l’âge de 30 ans. L’allemand et le francique (ce patois que les linguistes désignent aujourd’hui comme une langue) restèrent ses seules langues. Ce sont ces langues-là qui furent les premières que j’entendis et que je parlais, à l’ombre de cette grand-mère adorée, qui m’éleva.
Merci de se touchant témoignage.
Hélas, on oublie souvent d'évoquer dans les commémorations la situation des familles allemandes et encore moins des bi-nationaux. Vous devez vraiment comprendre la situation de reconciliation
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Rédigé par : Laurent | 16 novembre 2009 à 21:58
Monsieur,
Oui, en effet, je la comprends bien, je la comprends charnellement et culturellement.
Cordialement
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 17 novembre 2009 à 17:49