Tulle
Anne-Marie Deconfin a 90 ans aujourd’hui. Elle est née le 15 mai 1919, orpheline déjà ou plus exactement pupille de la Nation. Son père était mort dans les derniers jours de la guerre 14-18. C’est, au cours d’une permission, pendant l’été 1918, qu’il avait conçu cette enfant qu’il ne devait jamais connaître.
Anne-Marie fut ma collègue au lycée Edmond Perrier à Tulle, où j’enseignais comme elle l’histoire et la géographie, deux ans, de 1974 à 1976. Notre première rencontre eut lieu, inévitablement, dans la « salle des profs » du lycée et c’est là que naquit notre amitié, notre complicité qui pendant plusieurs années, même après mon départ de Tulle, fut faite de lectures partagées, de longues promenades dans la campagne corrézienne, de marches de plusieurs semaines, l’été, dans les Pyrénées ou dans les Alpes qu’elle aimait tant. Rapidement, elle me proposa de venir habiter dans la maison qu’elle partageait avec sa mère et sa tante. J’y eus ma chambre et nous dînions ensemble, formidablement, parce qu’elle était très bonne cuisinière et que la cave que rassemblait depuis plusieurs décennies sa mère, sans y toucher, était extraordinaire…
Anne-Marie, avait été marquée par la guerre de 39-45, pendant laquelle elle vivait à Clermont-Ferrand. Elle en avait conservé un esprit de résistance plutôt enraciné dans les engagements de la gauche communiste.
Je ne devrais pas en parler au passé puisque, malgré son grand âge, Anne-Marie est toujours de ce monde. Elle a presque totalement perdu la vue et se désole de ne plus voir les fleurs de son petit jardin du quartier de la gare de Tulle, tout près de cette avenue où le 9 juin 1944, les allemands pendirent 99 otages aux balcons de la ville.
J’ai demandé à un fleuriste de lui porter ce matin, de ma part, des fleurs. Ensuite, je l’ai appelée. Elle était heureuse de cette attention. Elle se maudit de la défaillance de ses yeux qui l’empêche de lire son journal, le Monde, dont elle est lectrice depuis le premier numéro et qu’elle continue d’acheter malgré tout.
Le Monde
Le Monde justement, fête son 20 000e numéro en rappelant quelques-unes de ses « unes » dans un cahier spécial. On a du mal à imaginer ce que fut, pour la génération d’Anne-Marie Deconfin et pour la mienne d’ailleurs aussi, l’autorité journalistique, politique et morale de ce journal. Cette autorité s’est édulcorée. Le Monde reste un bon journal, mais c’est tout. Sans doute fut-il trop souvent tenté de sortir de sa mission d’émetteur d’opinions sur le cours des choses, pour se prêter à des exercices d’instrumentalisation délibérée de l’information, de sa présentation, de sa mise en perspective, à des fins de participation à des processus de décantation de l’opinion, voire de prise de décision politique. La période pendant laquelle Edwy Plenel exerça la responsabilité de directeur de la rédaction n’a peut- être pas été, à cet égard, la moins significative, ce qui permet à celui qui aujourd’hui anime Mediapart de bien comprendre et de dénoncer les phénomènes d’aliénation de l’information.
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