Ma mère
Il y a quatre ans, le 10 mai 2004, ma sœur Dominique m’appelait pour m’annoncer que notre mère venait de mourir. Une attaque l’avait emportée alors qu’elle venait de prendre son petit déjeuner, dans la chambre de la maison de retraite médicalisée de Stiring-Wendel qu’elle occupait depuis plusieurs années. Après la mort de son mari, René, elle avait d’abord vécu chez Micheline, une autre de mes sœurs, puis chez Dominique, jusqu’au jour où celle-ci décida de la confier à une maison de retraite proche de chez elle, d’abord dans la section « résidence » où elle occupa quelques années un petit appartement, puis dans la section « médicalisée » où la dégradation de sa santé avait rendu son placement nécessaire. Elle avait progressivement perdu le sens commun, « la tête » pour reprendre cette terrible expression. Sa mémoire et son regard s’étaient vidés. Seul, y brillait parfois une lueur d’affection, ou plus exactement de quête d’affection. De sa parole, devenue incohérente, surnageait parfois des chants venus de son enfance. Souvent, je me suis posé une terrible question : est-ce la dégradation de sa santé qui avait justifié sa terrible « incarcération » dans l’une de ces « maisons de vieux » où, dès le hall d’entrée, vous accueillent les regards vides et tragiques de ceux qui n’attendent plus rien que la mort, ou est-ce justement son séjour dans l’une de ces maisons qui dégrada sa santé et son entendement par l’inévitable désespoir qui vous y frappe ? J’allais lui rendre visite de temps en temps avec l’impression que ça ne lui servait à rien, tant elle paraissait absente. Peut-être cette absence était-elle une dernière pudeur pour ne pas donner le sentiment à ceux qui la visitaient qu’ils avaient manqué, à son égard, d’affection et tout simplement, d’amour ? Sa vie demeure, pour moi, un mystère. J’en sais peu de choses sinon qu’elle endura ses souffrances avec courage et constance. Peut-être est-ce cette faculté à tout « encaisser » qui avait incrusté tant de douleur dans sa pauvre tête qui, ne s’en libérant jamais, avait fini par s’en faire dévorer. L’amnésie que procure ce qu’on appelait autrefois la sénilité et qui était peut être un Alzheimer, n’était-elle pas l’ultime rempart que sa vie avait ainsi opposé au souvenir d’une vie chargée de trop de misères et de souffrances ?
Venise
Le coup de fil de Dominique m’est arrivé alors que je sortais de France Inter où on m’avait interviewé, au journal du matin, le 7-9, sur l’annonce faite par François Pinault, la veille, dans une tribune du Monde, de sa décision de ne pas donner suite à son projet de musée dans l’île Seguin. Cette décision a donné lieu à beaucoup de commentaires, dont ceux laissant à penser que j’en avais été l’inspirateur, voir l’instigateur... C’était mal connaître François Pinault que de s’imaginer qu’il aurait pu se laisser imposer par un conseiller un choix aussi important pour lui. Quelques années après, François Chaslin écrivant à propos de l’île Seguin, expliqua même que si j’avais cessé, le 10 mai, de m’exprimer sur cette affaire, c’était parce que « l’ Elysée », agacé par son développement, m’aurait intimé l’ordre de le faire…! Il ne savait pas que ce 10 mai, j’étais aussitôt parti en Lorraine pour embrasser ma mère une dernière fois et pour organiser ses obsèques. Le vendredi 13, je fis cependant un saut à Venise, pour y assister à la conclusion de l’accord entre la ville de Venise et François Pinault qui faisait de lui le propriétaire de Palazzo Grassi. C’est à cette occasion que le maire, Massimo Cacciari, lui proposa, presque par boutade, de s’intéresser à la Pointe de la Douane, ce qui fut conclu deux ans plus tard.
François Mitterrand (écrit le 10 mai 2008)
François Mitterrand a été élu Président de la République il y a 27 ans. Nous étions en 1981. J’avais 35 ans. Je travaillais à l’Ecole nationale supérieure des Beaux Arts avec Jean Musy. Je votais encore à Toulouse où je retournais régulièrement pour rendre visite à mes enfants, Laure et Thomas qui avaient 13 et 12 ans. C’est dans le vol de retour qu’une annonce informa les passagers que François Mitterrand avait été élu. Une moitié de l’avion a applaudi. L’autre moitié s’est renfrognée. La défaite de Valéry Giscard d’Estaing était, qu’on en soit heureux ou malheureux, ressentie comme un événement majeur, indice pour les uns du passage de la nuit à la lumière, du déclin de notre pays. Le bilan du long règne de Mitterrand, 14 ans, le plus long de la Ve République, plus long que celui de De Gaulle (11 ans) et que celui de Chirac (12 ans), fut, in fine, sinon moins radical en tout cas moins révolutionnaire qu’on aurait pu l’imaginer, l’espérer, ou le craindre au moment de son élection. François Mitterrand n’aura cependant pas mis en cause ce qui a constitué, pendant ses décennies d’opposition, l’objet le plus central de ses critiques : les institutions de la République gaullienne. Il les aura même épousées avec délice. Ces institutions, il les avait combattues, dénonçant d’emblée le « coup d’Etat du 18 Brumaire » qui les auraient vues naître. Il aura cependant exercé, sans la remettre en cause, cette curieuse monarchie républicaine qui donne à l’organisation politique de la France une singularité aussi atypique dans l’espace européen et que symbolise, dans le spectacle des réunions internationales, l’agglomération, dans la personne du Président de la République, des fonctions de chef de l’Etat et de chef de l’exécutif.
Bien qu’ayant – comme beaucoup de citoyens de ma génération – longtemps pensé que ces institutions étaient adaptées à la personnalité de la France et qu’elles lui assuraient une démocratique stabilité, il m’arrive souvent de penser le contraire aujourd’hui. Associées à des modes de scrutin imparfaits et à un mépris affiché pour le rôle des partis, elles expliquent la faiblesse de la démocratie française qui s’incarne de façon excessive dans le choix exclusif d’un homme, le Président de la République, choix motivé plus par des considérations émotives que par la rationalité du débat et qui écartèle la vie politique entre ou l’opposition systématique ou le soutien aveugle.
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