Gérard Miller
Au Théâtre de Paris, rue Blanche, pour y voir « Manipulations, mode d’emploi », spectacle de Gérard Miller qui m’en avait parlé et m’y avait invité quand nous nous étions rencontrés, en décembre dernier, pour l’interview qu’il se proposait de me consacrer dans La Vie. Gérard Miller est sur scène, avec talent, depuis plusieurs mois et a le projet d’une tournée en province…
Le spectacle se présente en forme de monologue d’une heure et demi environ sur le thème de la suggestion, de l’hypnose, phénomènes psychologiques bien connus du psychanalyste qu’est Gérard Miller, phénomènes dont il évoque l’impact sur la vie politique, sur les relations entre les citoyens et ceux qu’ils se choisissent comme élus, et cela sur des critères où se mêlent à la raison, l’impression, le sentiment et la suggestion justement. Toute la vie politique française dépendant de l’élection présidentielle et donc du choix d’un seul individu, choix forcément, par sa nature, plus émotif que rationnel, n’est-elle pas à cet égard plus vulnérable que celle d’autres pays ?
Réflexions constitutionnelles
Les crises parfois vives qui traversent la France ne mettent-elles pas en évidence, de ce fait, le caractère excessif de nos institutions ? En organisant toute la vie publique autour du rite électoral du choix d’un individu (l’élection du Président de la République au suffrage universel), ces institutions ne rendent-elles pas tous les autres choix, dont celui de la composition du Parlement et celui de l’organisation du Gouvernement relativement accessoires, en tout cas subséquents du précédent ? Elles marquent la vie politique de manière radicalement binaire (pour-contre, d’accord-pas d’accord)… et font se succéder, parfois rapidement, les phases de faveur et de défaveur de l’opinion à l’égard de celui qu’elle a choisi. Elles rendent peu probables l’équilibre des opinions et le compromis sur des objectifs partagés… En un mot, elles substituent le moteur de l’émotion à celui de la raison qui est pourtant le principe fondateur de la démocratie. L’élection présidentielle, concentrée sur le choix déterminant d’un seul homme, est de nature émotive, alors que la possibilité de dégager une majorité nationale, et donc une ligne politique nationale, de la synthèse du grand nombre de choix qu’implique une élection législative, serait, dans le fond, beaucoup plus fidèle au principe démocratique de rationalité.
Notre vie politique est bien aujourd’hui tributaire du choix d’un seul individu. Il fait donc porter sur ses épaules une responsabilité excessive et terrible. Il le livre, inévitablement, aux fluctuations d’une opinion capricieuse qui, attendant tout de lui, ne peut qu’être déçue de son action, surtout quand les circonstances faisant, c’est dans le corps de la Nation tout entière qu’il faudrait trouver des remèdes aux difficultés.
Pour cette raison, ne serait-il pas souhaitable qu’une vraie réforme des institutions ou de leur usage vienne apaiser la vie publique en envisageant de dissocier plus nettement les compétences du chef de l’Etat et celles du chef du Gouvernement, en établissant une relation politique directe entre l’orientation de la majorité parlementaire et le choix de ce chef du Gouvernement ? Sortirait-on ainsi immanquablement de la Ve République qui a apporté à notre pays une longue et apparente stabilité ? Sa Constitution, infléchie de manière regrettable par le quinquennat, a pourtant, en d’autres temps, permis les cohabitations dans lesquels s’esquissait un monde d’usage tempéré d’institutions dont l’esprit « régalien » était pourtant fortement marqué.
L’avantage, à mes yeux, du processus qui attacherait l’orientation de la politique nationale à l’élection législative serait bien, à condition qu’elle procède d’un scrutin d’arrondissement, de donner plus d’espace d’expression à la sérénité et donc à la rationalité des choix. En répartissant le « risque émotif » en autant d’élections qu’il y a de circonscriptions, elle éviterait cette concentration terrible et dramatique du choix quand il doit, de façon radicale, se porter, à l’échelle d’une nation toute entière, sur une seule personne.
Ma préférence de citoyen se porte, ceci étant, sur la formule des législatives déterminées par un scrutin d’arrondissement plutôt que par la proportionnelle, même si elle n’était introduite que de façon « dosée » (bizarre expression que celle de « dose de proportionnelle » qui tient un peu de la formule de la potion magique). Puisque nous avons une deuxième chambre, c’est à celle-là, au Sénat donc, qu’il faudrait réserver la proportionnelle et la mettre en œuvre, non pas à l’échelle du pays tout entier mais dans le cadre des régions de façon à maintenir le principe d’une relation territoriale entre les Sénateurs et les territoires qui les éliraient, au suffrage universel bien évidemment.
Je me demande parfois s’il ne pourrait pas appartenir à Nicolas Sarkozy de devenir, paradoxalement, le promoteur de cette réforme. Ce serait paradoxal aux yeux d’un observateur rapide. N’est-il pas le premier président à ne pas être dominé par le « surmoi » du modèle de présidence qu’impliquait le septennat ? N’est-il pas le premier à pouvoir pratiquer cette présidence absolue que donne la quasi certitude de bénéficier d’une majorité parlementaire favorable tout au long de son propre mandat ? N’a-t-il pas fait preuve d’une toute particulière volonté d’assumer cette présidence dans tous les aspects et tous les ressorts de sa responsabilité et cela dans des temps qui s’avèrent difficiles ? N’est-il pas, pour ces raisons, plus à même que quiconque de mesurer ce que j’appelais le caractère excessif de nos institutions et souhaiter, lui-même, comme contribution décisive à la démocratie française, vouloir être l’artisan d’une réforme qui en modifierait totalement la règle du jeu ? Je crois qu’il pourrait, plus que quiconque, avoir la certitude de cette nécessité. Je crois qu’il pourrait avoir l’audace de le faire, sachant d’ailleurs qu’il sera un jour inéluctable qu’on y arrive, ne serait-ce que pour mettre notre pays au diapason des autres pays de l’Union Européenne. Dans les réunions au sommet de l’Union, la France se retrouve toujours dans cette situation bizarre d’y être représentée par son chef de l’Etat alors que les autres pays le sont par leur Premier Ministre.
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