Tribune par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre.
Le 7 mai prochain, Emmanuel Macron affrontera donc Marine Le Pen. En 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le deuxième tour avait surpris et plongé l'opinion publique dans une véritable sidération. Le résultat du 23 avril dernier n'est-il pas, cette fois-ci, considéré, par trop de nos concitoyens, comme relevant d'une sorte de fatalité sans remède. Il est vrai que le Front national s'est, depuis 2002, installé dans le paysage politique et s'est, en quelque sorte, banalisé. Cela explique sans doute que la mobilisation pour faire barrage au FN soit, en apparence, quinze ans après cet épisode retentissant moins spectaculaire. Encore faut-il, pour nuancer ce regret, constater que la protestation s'exprime aujourd'hui différemment, sur d'autres espaces que celui de la rue, espaces qui agrègent l'audience et l'opinion, celui des réseaux sociaux. Facebook a été créé en 2004, Twitter en 2006.
D'une manière ou d'une autre, de quelque façon qu'elle s'exprime, la résistance à une normalisation du regard porté sur le FN demeure une nécessité parce que ce parti est une menace pour la France. N'annonce-t-il pas vouloir mettre en œuvre des politiques qui, exploitant toutes les inquiétudes du pays, lui seraient fatales, l'isoleraient dans le monde, l'éloigneraient de la construction européenne pourtant si nécessaire et dresseraient nos concitoyens les uns contre les autres. La France sortirait d'une telle épreuve pantelante, appauvrie, déchirée et affaiblie. C'est la raison pour laquelle, il faut toujours savoir opposer à la candidate issue du Front national, un autre front, un front républicain, vigoureux, sans état d'âme et militant. Pour tous les démocrates qui ne l'auraient déjà fait au premier tour, il y a donc désormais urgence à appeler à voter pour Emmanuel Macron, sans afféterie rhétorique, simplement et dignement, comme l'a fait, François Fillon lui-même, comme l'a fait Christian Estrosi.
Le vote pour le candidat d'En marche ! doit cependant ne pas être motivé que par cette seule nécessité de « faire barrage ». Il est également de nombreuses raisons positives de faire ce choix. Le projet politique et la candidature même d'Emmanuel Macron n'invitent-ils la France à se libérer du carcan que lui a imposé la trop longue opposition, mécanique et stérile, de la droite et de la gauche, dont l'alternance au pouvoir finissait par apparaître comme le seul objectif de la vie politique ? Face à ce lassant jeu de balancier qui a d'ailleurs fourni au Front national le terreau sur lequel il a prospéré, Emmanuel Macron invite à cette recomposition dynamique de l'espace politique qu'un précurseur comme François Bayrou avait si longtemps désirée. Ce n'est qu'à la faveur d'une telle recomposition qu'on saura, enfin, de manière plus généreusement partagée, construire pour la France de nouveaux équilibres, équilibre entre la liberté et l'égalité, équilibre entre le soutien à la prise de la responsabilité et le respect de la solidarité, équilibre entre les territoires pour lesquels l'avenir est une chance et ceux qu'accablent trop de difficultés, équilibre entre la fidélité à la Nation et la confiance en une Europe renforcée. Face à l'enfermement de la France dans son « terrier », pour reprendre la formule de Richard Ferrand, face à la vision étriquée de l'avenir de notre pays qu'impliquent les projets du FN, le projet d'Emmanuel Macron invite, lui, la France à embrasser de sa sollicitude son territoire tout entier et à dilater son regard, son action et son influence à l'horizon du vaste monde.
C'est cette audacieuse aventure que permettra, je l'espère, l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence, de la République, le 7 mai prochain. Son combat contre Marine Le Pen est un combat de civilisation et pour la civilisation. Il renoue ainsi avec les meilleures traditions de la France, celles qui fondent l'universalité de son génie, de ses valeurs et de sa langue. À rebours du terrible rétrécissement que recouvrent des slogans comme « La France aux Français » et « On est chez nous », Emmanuel Macron propose de la culture, une vision ouverte, dynamique, généreuse et critique. Il rappelle que si la culture est génératrice de patrimoine et que ce patrimoine est un legs sacré, elle n'est pas pour autant un statu quo, qu'elle est un mouvement perpétuel, une incessante expérience, une nécessaire quête, une invitation à sans cesse tout reconquérir et tout réinventer. Il nous propose, dans la grande tradition de la scolastique parisienne du XIIIe siècle, illustrée par l'Italien Thomas d'Aquin et l'Allemand Albert de Cologne, dans la tradition d'Ambroise Paré, préférant l'expérimentation au dogme, dans celle de René Descartes, dans celle du siècle de l'Encyclopédie, dans celle de Pasteur et de Pierre et Marie Curie, de toujours préférer le doute aux certitudes trop établies, la recherche aux habitudes bien ancrées, le lendemain à la veille, le futur au passé.
Si le peuple français fait le choix de porter Emmanuel Macron à la magistrature suprême de notre pays, c'est une formidable image de la France qui sera donnée au monde, l'image d'une France réconciliée, d'une France qui aura fait le choix de la jeunesse, de l'intelligence, de la modernité, d'une France qui aura dit non à la régression, à l'aigreur et à la haine.
Ma tribune publiée le 27 avril 2017 dans Le Point.fr.
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