François Fillon a renié l'héritage de Jacques Chirac, celui du dialogue des cultures et de l'ouverture. Un héritage relevé par le candidat d'En marche !.
Tribune par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre.
La personnalité politique de Jacques Chirac, telle que nous la connaissons, est issue d’une longue maturation, même si, comme l’a montré l’exposition que lui a consacrée le musée du Quai Branly, « Jacques Chirac ou le dialogue des cultures », le jeune homme qu’il avait été, dans les années d’après-guerre, portait déjà en lui la semence de ce qu’il deviendrait à la fin de sa carrière publique. Pendant longtemps, son amarrage politique a fait de lui un homme classiquement de droite, d’une droite parfois même abrupte et catégorique. C’est l’expérience politique mais aussi celle de la vie, la résurgence de son caractère profond, l’influence lointaine de ses aïeux, instituteurs, francs-maçons et radicaux socialistes, mais aussi une familiarité de plus en plus grande avec les cultures lointaines, qui en ont fait un autre homme, le héraut de la diversité des cultures et de leur dialogue.
C’est ainsi qu’il est devenu ce Maire de Paris, programmant, pour le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique, une exposition consacrée aux Taïnos, l’un des peuples de la Caraïbe décimés par la colonisation européenne, une exposition en forme de protestation contre la façon unilatérale dont l’Occident européen avait voulu faire et écrire l’Histoire.
C’est ainsi qu’il est devenu le Président de la République à l’origine du Pavillon des Sessions au Louvre, ce pavillon dans lequel les arts de l’Afrique, de l’Océanie et de l’Amérique précolombienne rencontrent les arts installés depuis longtemps dans le patrimoine de la culture européenne. C’est ainsi qu’il est également à l’origine du musée du Quai Branly, du département des arts de l’Islam au Louvre, de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, installée au Palais de la Porte Dorée. C’est ainsi qu’il a œuvré, avec le gouvernement de Lionel Jospin, à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, par la loi du 21 mai 2001, et à l’institution d’une Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, désormais célébrée le 10 mai.
C’est ainsi qu’il a appuyé de toute son autorité la rédaction puis l’adoption par l’UNESCO d’une Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Cet engagement, dont la conviction et la force ont été saluées dans le monde entier, ne l’a cependant pas distrait d’un engagement tout aussi sincère en faveur des missions culturelles de l’État déjà enracinées dans l’expérience historique de notre pays. C’est ainsi qu’il sut prendre à bras le corps la question de la déréliction des Archives nationales dont il décida, en réponse à un rapport de Georgette Elgey et d’Annette Wieviorka, la création d’un nouveau site performant à Pierrefitte-sur-Seine.
C’est le même Jacques Chirac qui a su affirmer que la France devait assumer son histoire, toute son histoire, ses gloires et ses hontes, et qui, le 16 juillet 1995, à peine quelques semaines après son élection, prononçait le discours du Vel d’Hiv dont il a tant été question ces derniers jours.
De toute évidence, ce Jacques Chirac là, certains voudraient l’oublier, l’abolir, le renier.
N’est-ce pas déjà ce qu’avait tenté de faire son successeur à l’Élysée quand, à l’idée d’une identité heureuse, ouverte, lucide de la France, il avait, avec son ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale, et son projet contesté de musée de l’Histoire de France, voulu substituer le recroquevillement de notre pays sur l’intégrisme de son supposé pré carré ?
C’est ce qu’a voulu faire, ces derniers jours, non sans provocation, Marine Le Pen, renouant avec les vieux réflexes anti-chiraquiens de son père. En remettant en cause la part de responsabilité que la France avait, hélas, pendant la dernière guerre, prise dans la persécution et le projet criminel d’anéantissement des Juifs, elle réveillait un débat apaisé depuis 22 ans.
C’est également ce que font et ne cessent de faire, à longueur de discours et selon des « éléments de langage » bien réglés, François Fillon et ses lieutenants quand ils excitent la vindicte de leurs troupes contre Emmanuel Macron au prétexte que le candidat d’En Marche aurait, pour s’adonner aux délices pervers du multiculturalisme, jeté aux orties la vraie « culture française » dont ils seraient, eux, les défenseurs.
Que François Fillon soit oublieux de la ligne d’ouverture au monde, dans sa diversité, sa richesse, sa mobilité, qu’à incarnée Jacques Chirac, n’est pas étonnant. Son univers n’est décidément pas le même que celui de l’ancien Président de la République. Son horizon s’est borné à trop de certitudes, alors que le moteur même de l’intelligence, de la culture, de la civilisation, réside dans le doute, la compréhension de la complexité des choses, la conviction que les métissages culturels, comme les autres, sont préférables à une endogamie sans cesse perpétuée.
On ne peut, en revanche, qu’être étonné, et même peiné, de voir une telle attitude endossée par certains qui se sont souvent, eux-mêmes, présentés comme des héritiers de Jacques Chirac, voire comme des « bébés Chirac », et qui aujourd’hui accompagnent le projet de conquête du pouvoir de l’ancien député de la Sarthe. Ils se rangent ainsi du côté d’Édouard Balladur, dont l’insistante présence au dernier meeting parisien du candidat de la droite et du centre en disait d’ailleurs long sur l’amarrage résolument droitier de ce candidat, définitivement étranger au radicalisme républicain de celui qui fut président de la France de 1995 à 2007.
L’héritage de ce Chirac-là est désormais passé ailleurs. C’est Emmanuel Macron qui l’a relevé. Son projet pour la France en atteste. Sa vision de ce que doit être l’engagement culturel de notre pays le prouve.
Ma tribune publiée le 14 avril 2017 dans Le Point.fr.
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