Dans deux jours, les élections scelleront, pour quelques années, le sort des grandes régions françaises. L’enjeu en est majeur. Il concerne étroitement les équilibres et le dynamisme de la vie culturelle de notre pays.
Au fil des décennies, les collectivités régionales sont, en effet, devenues des acteurs majeurs du développement culturel de la France. Les lois de décentralisation les ont dotées de compétences significatives comme celle de l’Inventaire général. En association avec l’État, elles se sont engagées dans des actions aussi structurantes que la création des FRAC. Elles sont devenues, avec les autres collectivités publiques, les partenaires de nombreux évènements culturels et non des moindres, comme le Festival d’Avignon ou les Rencontres d’Arles. Certaines d’entre elles ont même eu l’audace de prendre en charge des monuments nationaux comme le château et le domaine de Chaumont-sur-Loire, désormais gérés par la Région Centre. La plus visionnaire, la Région Nord-Pas-Calais, sous la présidence du remarquable Daniel Percheron, s’est portée, avec succès, candidate à l’accueil, à Lens, d’une décentralisation non seulement du Louvre mais encore de ses réserves.
Aujourd’hui, cet édifice est menacé par l’avènement du Front National à la responsabilité d’exécutifs régionaux. Il est tout d’abord menacé parce que ce parti ne cesse de brandir ses foudres, avec une pugnace hostilité, contre les institutions, structures, responsables qui animent, dans les Régions, la part la plus audacieuse et la plus généreuse de leur vie culturelle. C’est aussi une menace parce que ce parti, n’est pas, de toute évidence, disposé à respecter le principe fondamental de l’action culturelle publique, celui de non-ingérence du politique dans les choix artistiques, que la tradition républicaine a délégués à la seule responsabilité des animateurs des institutions et des actions que sa volonté a suscitées et que ses subventions soutiennent. Le Front National a, de l’action culturelle, une vision profondément idéologique et totalement réactionnaire. Il n’est qu’à se reporter, par exemple, à la réponse faite, le 15 novembre dernier, par Christophe Boudot, candidat Front National en Auvergne/Rhône Alpes, à un courrier qui lui avait été adressé par la coordination nationale des enseignants et des écoles d’art. Consternant ! Il déclare notamment "le Front National soutient une politique culturelle du beau, de l’agréable, de l’harmonie, de l’esthétique et de l’enracinement, respectueuse de la nature humaine et des valeurs civilisatrices. Il rejette la valorisation d’une « culture » élitaire, abstruse, laide, subversive, provocatrice, vide, cosmopolite, conformiste et politiquement correcte… Pour parler crument, nous voulons une culture de l’art et non une "cul-ture" du "canul’art". Les ressorts de ce discours sont ceux qui animaient, dans la partie la plus sinistre du XXème siècle, ceux de partis et de régimes totalitaires. Il exalte le passé et les traditions pour fustiger le présent. Il glorifie le goût supposé du peuple, goût sincère et pur, pour l’opposer à celui, dépravé, corrompu et intéressé des élites. Il hisse sur un piédestal ce qui appartient à la production nationale, celle de la « France de toujours », à l’art de l’occident, pour dénigrer tout ce qui vient d’ailleurs, ce qui est issu du métissage des cultures et de leur dialogue si cher au président Chirac, créant le musée du Quai Branly ou le Département des Arts de l’Islam du Louvre. Il se complait dans la dénonciation de cet art contemporain qui ignore les frontières, qui fait fi des certitudes et du confort des habitudes, qui sait entretenir avec le patrimoine une relation joyeuse et libre, affranchie de toute bigoterie.
Pour le Front National, la culture se fonde sur des idées terribles. Celle de la primauté du sang et du sol, Blut und Boden et du "populaire", völkisch, ou encore celle, effrayante, d’art décadent, Entartete Kunst, tout cela exaltant les fantasmes de l’enracinement, glorifiant des esthétiques de pacotille et s’appuyant sur de fumeuses références à la chrétienté définitivement préférée au christianisme. Godefroy de Bouillon plutôt que Jésus ! Quelle ignorance ! Quel oubli du meilleur de l’histoire de l’art européen ! Quel aveuglement ! Marion Maréchal-Le Pen, sa tante, son beau-frère, leurs parents, leurs amis devraient se souvenir à quel point l’art français du XXème siècle fut stimulé par des métèques, espagnols, italiens, russes, roumains, même par des grecs et des turcs, par l’art des "indigènes" d’Afrique et d’Océanie, l’art des Dogons et des Papous. Savent-ils tout ce que la vivacité de la création doit aujourd’hui en France à ces artistes dont les racines sont ailleurs, à Adel Abdessemed, à Kader Attia, à Zineb Sedira, à Latifa Echakhch, à Mohamed Bourouissa et à tant d’autres.
Comment ne pas être consterné ? Comment ne pas réagir ? Tout doit être fait pour que dans le « Midi Provençal », dans le "Grand-Nord" et dans le "Grand-Est", soit évité, dimanche, le désastre haineux d’une victoire du Front National. Dans ces Régions, chacun doit savoir voter, sans état d’âme, sans préciosités stratégiques, sans hésitation timorée, pour Christian Estrosi, Xavier Bertrand et Philippe Richert. Je salue la dignité et le sens de l’intérêt général avec lesquels Christophe Castaner, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Pierre de Saintignon, en Picardie-Nord-Pas de Calais se sont effacés. Je déplore la position prise par Jean-Pierre Masseret en Champagne-Lorraine-Alsace et celle, collective, du parti de Nicolas Sarkozy dans les instances dirigeantes duquel, seuls, ont fait honneur à l’esprit de la Résistance qui animait le gaullisme, Jean-Pierre Raffarin et Nathalie Kosciusko-Morizet.
Face à la menace, partout, un seul mot d’ordre, en attendant, après le deuxième tour, de refonder une République pour tous : No pasaran !
Chronique publiée dans le Quotidien de l'Art du 11 décembre 2015
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