En 1872, Ernest Cognacq qui fut vendeur forain, épousait Marie-Louise Jaÿ, ancienne première vendeuse du Bon Marché. On était au temps du "Bonheur des dames" d’Emile Zola. En quelques décennies, ces deux personnalités peu communes allaient ériger, grâce à la conquête progressive d’un vaste pâté d’immeubles, entre la Seine et la rue de Rivoli, le grand magasin de la Samaritaine. Très tôt, les époux Cognacq-Jaÿ eurent le souci de donner à l’ensemble immobilier qu’ils avaient réuni sous leur bannière, de la cohérence et, comme l’on dirait aujourd’hui, de la qualité architecturale. C’est, avec l’audace caractéristique de cette époque encore entreprenante, qu’ils firent travailler de grands architectes. Frantz Jourdain, conçut d’abord, au passage du XXème siècle, de remarquables aménagements, dans le goût de l’Art nouveau. Puis ce fut Henri Sauvage qui dessina le vaste bâtiment Art déco qui constitue l’actuelle façade de la Samaritaine, sur la Seine. En 2005, cette Samaritaine, fatiguée par un siècle de bons services, fermait ses portes. LVMH qui en est, désormais, propriétaire entreprit alors d’y réaliser un programme associant des commerces, des bureaux, des logements et un hôtel. Fidèles aux meilleures des traditions de cette Maison, les promoteurs du projet ont fait appel à de grands architectes, l’agence japonaise Sanaa, qui a réalisé le Louvre-Lens, et, pour l’hôtel, Edouard François, remarquable et encore jeune architecte français.
Comment ne pas, alors, être navré qu’à la requête d’associations, SOS Paris et la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, le tribunal administratif de Paris, vienne d’annuler le permis de construire, estimant que la façade, magnifique, dessinée par Sanaa pour la rue de Rivoli, n’était pas conforme au plan local d’urbanisme. Malgré le respect que l’on doit à la Justice, on ne peut manquer de considérer que cette décision, quoi qu’en disent ses thuriféraires, est plus motivée par des considérations d’opportunité esthétique, que par des arguments objectifs. Elle érige, sans subtilité, en norme infranchissable, des partis pris architecturaux qui, s’ils constituent incontestablement l’une des caractéristiques du paysage parisien, ne peuvent être institués en une sorte de charia, au risque de ne plus laisser aucune possibilité à des ouvrages de qualité de venir stimuler une ville qui en a, pourtant, bien besoin. Avec des arguments comme ceux du tribunal, on n’aurait jamais construit le Centre Pompidou, ou encore le Musée du Quai Branly.
La défense du patrimoine est une nécessité et même, un devoir. Mais elle doit être menée avec discernement, sans mépris pour la capacité des architectes d’aujourd’hui de contribuer à l’enrichissement du patrimoine de demain. Elle ne peut se fixer comme seul horizon l’immuabilité de l’existant, ni figer une ville dans des normes étouffantes. Elle doit savoir se délester du poids des préjugés, comme l’avait fait Jésus en acceptant de boire de l’eau que lui offrait une Samaritaine, une femme issue de ce peuple de l’ancien royaume d’Israël que les juifs de Jérusalem tenait pour hétérodoxe et donc, infréquentable. C’est la représentation de cette scène sur la pompe à eau, érigée sous l’Ancien Régime, à la sortie du Pont-neuf, qui a donné son nom au magasin des Cognacq-Jaÿ.
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