Que la Cinémathèque Française consacre à Henri Langlois une exposition, c’était bien la moindre des choses. Cette grande institution culturelle, désormais présidée par Costa-Gavras et dirigée, depuis 2003 par Serge Toubiana, lui doit beaucoup et, en premier lieu, son existence. C’est en effet, à partir 1935, alors que le cinéma parlant venait à peine de naître, que le jeune Langlois, né en Smyrne en 1914, se mit, avec Georges Franju, à collectionner des bobines qui, souvent, partaient à la décharge et à en organiser des projections pour le public. La Cinémathèque, aujourd’hui installée à Bercy, dans un bâtiment de Frank Gehry, d’abord destiné à abriter un American Center, en possède désormais des dizaines de milliers ainsi qu’une vaste collection d’objets, de documents et de livres – la bibliothèque du film – en rapport avec le cinéma.
Que l’exposition "Le musée imaginaire d’Henri Langlois" emprunte son titre à l’une des œuvres majeures d’André Malraux esquisse un astucieux pied-de-nez à l’histoire qui, étrangement, opposa Langlois à un Malraux, ministre des Affaires culturelles. Ce dernier, jaloux de la toute-puissance de l’Empereur du cinéma, envisagea, en 1968, de le démettre, ce qui mobilisa des protestations du monde entier dont celle de Charlie Chaplin qui envoya le télégramme suivant : "In the cause of the excellence of art, I must add my name to the list of those protesting against the dismissal of Henri Langlois". Le grand Henri resta à la Cinémathèque jusqu’à sa mort, en 1977, inventant au Palais de Chaillot, qui hébergeait l’institution depuis 1963, une nouvelle manière de montrer le cinéma et d’en parler, y organisant notamment des expositions d’art dans un esprit "pluridisciplinaire" qui annonçait le Centre Pompidou à venir.
C’est ce que montre la remarquable exposition de Bercy conçue avec intelligence par Dominique Paini dont on sait, depuis son exposition Hitchcock en 2001, qu’il peut évoquer de façon rafraîchissante et profonde à la fois, le cinéma et ceux qui le font. S’agissant de Langlois, Paini n’hésite pas, à côté des passions cinématographiques de ce géant – comme Georges Méliès, Luis Bunuel, Sergei Eisenstein ou Georg Papst – à en explorer d’autres qui l’attachaient à l’œuvre de Matisse, Picabia, Duchamp, Sévérini ou Léger. Avec subtilité, le commissaire de l’exposition invite, aussi, des artistes d’aujourd’hui à refléter l’image de ses passions pour nous en faire comprendre l’inépuisable fécondité.
L’offre d’expositions est aujourd’hui, en France, considérable, ce qui n’empêche cependant pas certains précieux de se plaindre que telle exposition de Londres ou de New York ne vienne pas à Paris ou n’en provienne pas... Dans cet immense flot, parfois guetté par la banalité, il est cependant toujours tonique d’identifier quelques pépites qui échappent à la norme et qui réinventent l’art d’exposer. C’est le cas, actuellement, avec l’exposition "Paparazzi" du Centre Pompidou-Metz ou avec cette celle-ci de la Cinémathèque. Elle surprend le regard, elle réveille l’intelligence, elle ouvre des perspectives, elle contourne les évidences. Elle invite à constater à quel point le cinéma est un art dont l’histoire est indissociable de celle des autres formes d’expression artistique. En un mot, comme en mille, elle fait du bien à son visiteur.
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