La passion de l’humanité pour les plantes est l’une des plus paisibles et des plus profondes qui soit. Elle doit plus à la curiosité, à la science, au goût, en un mot à la culture, qu’à la nécessité. On peut en contempler actuellement l’une des plus belles expressions au Muséum d’histoire naturelle qui, après plusieurs années d’une patiente restauration, permet au public de redécouvrir l’Herbier national qui rassemble plus de huit millions de végétaux et dont l’origine remonte au XVIe siècle, chacun des siècles suivants l’ayant enrichi de ses apports dont celui de l’herbier de Jean-Jacques Rousseau.
Les Hommes entretiennent avec le monde végétal une relation complexe. Dieu n’aurait-il pas dit à leurs parents, Adam et Eve: "Je vous donne toutes les herbes portant semence qui sont sur toute la surface de la terre et tous les arbres qui ont des fruits portant semence…" ? Ils ont soumis cette nature foisonnante à leur génie. Elle les a nourris, abrités, chauffés et guéris. Ils l’ont domestiquée pour en tirer le meilleur rendement jusqu’à parfois, en compromettre les équilibres. Ils en ont également fait un motif de plaisir et d’invention à travers cet art du jardin que permet de célébrer, une fois encore, le 4e centenaire de la naissance d’André Le Nôtre.
Le jardin est désormais classé au rang des Beaux-Arts qu’on enseigne dans des écoles dont l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles qui jouxte le potager du Roi. Des revues dont l’inoxydable Rustica, des émissions de radio et de télévision en promeuvent la passion. Alain Baraton sur France Inter, Noëlle Bréham et Stéphane Marie, sur France 5, avec "Silence ça pousse", sont, avec d’autres, les missionnaires de cette quasi nouvelle religion. Elle a ses prélats, les Louis Benech, Pascal Cribier, Gilles Clément et autres Patrick Blanc, ses chanoines comme Joël Cottin au château de Versailles ou Pierre Bonnaure, aux Tuileries, sa cohorte de curés et vicaires qui œuvrent dans les jardins privés et publics. Elle a surtout une foule immense de fidèles, les dix-sept millions de Français, soit trente-cinq pour cent de la population, qui jardinent et hantent les jardineries et foires aux plantes dont la plus illustre se tient, deux fois par an, à Courson. Cette religion a son calendrier, ses jours fastes et néfastes aux plantations, ses saisons et ses temps propices, ses fêtes carillonnées comme les Rendez-vous aux jardins que propose le ministère de la Culture. Elle a ses lieux de pèlerinage comme le festival de Chaumont-sur-Loire ou ces "jardins remarquables", distingués par un Conseil national que préside Didier Wirth. Parmi eux, on découvre bien des chefs-d’œuvre comme le "jardin du bâtiment" planté, à Thiré, en Vendée, par le grand William Christie, ce redécouvreur de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles, ou encore le jardin du Pellinec dans les Côtes d’Armor qui vient de bénéficier d’une belle monographie aux Editions Ulmer.
Toujours est-il que de cette passion est née une économie florissante dont on sous-estime trop souvent le poids alors que le seul marché du jardinage est estimé à environ six milliards d’euros. Personne n’a, jusqu’à ce jour, très bien évalué à quel point le secteur était créateur d’emplois, privés et publics, et contribuait au développement d’un tourisme exigeant. Une fois encore, culture et économie font bon ménage.
Article publié le 4 décembre 2013 dans L'Opinion
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