Visite du musée de la Chartreuse, trop rapide hélas. Bonheur de voir tant de chefs d’œuvre réunis dont le polyptique d’Anchin de Jehan Bellegambe, né et mort à Douai, au passage des 15ème et 16ème siècles. Son panneau central met en scène la Trinité, avec un père patriarcal et pontifical (il porte la tiare), un Saint Esprit, colombin et léger comme l’air qu’il agite de ses ailes et un Fils abandonné sur les genoux du père, désignant la plaie faite sur son flanc par la lance, en en écartant d’ailleurs la béance, comme pour bien en démontrer la profondeur. Dans l’église transformée en musée des collections de sculptures. Je m’y arrête longuement devant un tirage du Fils prodigue de Rodin qui lève ses bras à la fois implorants et révoltés vers le ciel, vers le père d’une certaine façon. Je réalise, qu’une fois encore, les œuvres, notamment les chefs d’oeuvre ont cette prodigieuse vertu d’inviter à réfléchir, ici sur l’ambiguïté et la difficulté de la filiation, de l’état de fils et de l’état de père. Dans le parcours de la chartreuse se répondent ainsi deux fils, l’un réconcilié avec son père qui l’a pourtant laissé mourir (mon dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?) mais qui néanmoins n’oublie rien des outrages qu’il a subi et l’autre, à la fois terrassé par les malheurs qui l’ont accablé mais toujours insurgé, malgré sa repentance.
A un moment où les débats sur la filiation enflamment l’opinion, surtout celle des partis politiques qui en font un enjeu de leurs différences, il y a là un témoignage sur la difficulté intrinsèque de l’exercice réciproque de la paternité et de la filiation, quelle que soit la situation sexuelle ou conjugale de celui appelé à jouer le rôle de père ou à le dépasser.
On aimerait que le débat sur le mariage dit « homosexuel » enfin se dissocie de celui sur la filiation. On continue à faire comme si la question du mariage était obligatoirement liée à celle de la filiation. Il y a pourtant des filiations sans mariage et des mariages sans filiation. Je proposais dans une tribune confiée à Libération, de « divorcer » les mariages civils et religieux. De la même façon, il faudrait aussi savoir dissocier la question du mariage, pacte civil, ouvert à tous, de la question de la filiation, qu’elle se développe dans ou hors le mariage, entre des personnes hétéros ou homosexuelles. Sinon, on continuera à amarrer ces questions, à mes yeux distinctes de la finalité procréative première du mariage.
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