Quel beau 1er mai, que celui de 2012. Outre le choix entre le muguet en brin ou celui en bouquet, on pourra choisir entre deux défilés, celui des vrais travailleurs et l’autre, c’est-à-dire celui des faux travailleurs ! Celui des vrais est convoqué, de façon originale, par l’un des finalistes à l’élection présidentielle. L’autre, c’est l’ordinaire, celui qui rassemble d’année en année les organisations syndicales, quand elles ne décident pas de faire défilé à part. C’est à celui-là que j’avais participé en 2002, déjà entre les deux tours, avec mes collègues du Centre Pompidou, alors qu’il s’agissait, de choisir entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. En 2012, chacun de nous pourra donc, une nouvelle fois, choisir sa famille, sa tribu, son camp, selon qu’il estime appartenir au monde des vrais travailleurs ou à celui des jean-foutre. La place de ceux que le vocabulaire de droite nomme parfois les "cultureux" me semble assez évidente. Ils appartiendraient plutôt à la catégorie des réprouvés qu’à celle des élus. Il leur reviendra donc, s’ils se décident à renoncer, pour un jour, à ne rien faire comme d’habitude, d’aller, entre Denfert-Rochereau et la Bastille, à la manifestation des tire-au-flanc. Gustave Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, n’écrivait-il pas déjà, "Artistes : Tous farceurs... Gagnent des sommes folles, mais les jettent par les fenêtres. Souvent invités à dîner en ville [des bobos, donc]… Ce qu’ils font ne peut s’appeler travailler." Les musiciens, les comédiens, les danseurs (danser, un métier !), les plasticiens, … des travailleurs ? Vous n’y pensez pas ! Jamais, ils ne reculent devant une bonne blague pour manifester leur inaptitude au vrai labeur. Marcel Duchamp, quel plaisantin, avec ses égouttoirs, ses urinoirs et ses roues de bicyclette ! Et que dire de Bertrand Lavier qui expose à Strasbourg une Peugeot 103 accidentée ? En revanche, la scène artistique présente, heureusement, quelques vrais travailleurs qui, eux, déploient des efforts surhumains pour produire des œuvres fascinantes, les faux. On sait l’immense talent du faussaire hongrois Elmyr de Hory dont beaucoup d’œuvres magistralement trompeuses furent écoulées par ce marchand tellement génial, lui aussi gros travailleur, que fut Fernand Legros. Leur prodigieux travail inspira même à Orson Wells un chef-d’œuvre, Vérités et mensonges. Les bons travailleurs, Elmyr et Fernand, surent, eux, susciter de l’activité, du travail, du commerce, de la richesse. Ils surent, eux, travailler plus pour gagner plus, tout comme le génial Han van Meegeren qui imitait si bien Vermeer qu’il abusa même, dit-on, Goering ou Emile Schuffenecker qui produisait de fascinants Van Gogh. Voilà de respectables vrais travailleurs de l’art alors que tant d’artistes font n’importe quoi et nous font prendre des vessies pour des lanternes en assemblant, les uns, comme Sylvie Blocher, des cheveux et des poils, d’autres, comme Jean-Pierre Raynaud, des carrelages ou encore, puisque ces enfantillages sont devenus universels, des accumulations de vieilles chaises, comme Chen Zhen, ou d’objets collectés dans des décharges comme Tony Cragg. Après tout, l’un des théoriciens de l’art contemporain, Thierry de Duve, ayant écrit qu’on peut faire de l’art avec n’importe quoi, l’art n’est-il pas devenu n’importe quoi, une imposture à ranger au rayon des fariboles.
Les choses sont claires. Ce 1er mai, les "damnés de la terre" (de Sienne, naturellement) se donneront rendez-vous au Trocadéro. Ceux, en revanche, qui usent et abusent de cette belle chose qu’est la culture et en vivent grassement à force de subventions publiques, manifesteront avec tous les fainéants qui d’habitude s’assemblent sous les calicots de leurs syndicats. On y convoquera également les paysans des frères Le Nain, accablés par la tâche, les voyageurs des wagons de 3e classe de Daumier, les raboteurs de parquet de Caillebotte, l’ouvrier mort d’Édouard Pignon, les Espagnols morts pour la France de Picasso, la foule compacte du Quatrième État de Giuseppe Pellizza da Volpedo… Et tant d’autres, si on les autorise, ce jour-là, à sortir de leur musée.
PS, si j’ose dire… J’oubliais qu’il y aura, ce jour-là, une 3e manifestation, place de l’Opéra. Pourront s’y rendre les mâles triomphants d'Arno Breker, dont Patrick Buisson parle si bien dans ses Années érotiques (1940-1945)... On s’y plaira à conspuer l'art dégénéré.
Chronique publiée dans le Quotidien de l'Art du 27 avril 2012
Photo article : Par Giuseppe Pellizza da Volpedo (1868-1907) [Public domain], via Wikimedia Commons
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