On m’a souvent demandé pourquoi j’avais engagé la création d’une antenne permanente du Centre Georges Pompidou en région dont l’ouverture du Centre Pompidou-Metz est la brillante réalisation. Je crois utile, au moment où ce nouveau lieu pour la culture et les arts va ouvrir avec l’exposition Chefs-d’œuvre de Laurent Le Bon, de rappeler les raisons qui m’ont conduit à imaginer et à mettre en œuvre un projet aussi ambitieux dont mes successeurs au Centre Georges Pompidou, Bruno Racine d’abord, puis Alain Seban, auront vaillamment et efficacement accompagné l’aboutissement.
La première raison tient à la vocation particulière du Centre Pompidou, ouvert, depuis 1977, sur le plateau Beaubourg, par la volonté de Georges Pompidou et grâce à la vigilance de Jacques Chirac qui défendit, dans des temps menaçants, le projet de celui qui fut son mentor. Au moment du vote de la loi portant création du Centre Pompidou, en 1975, Michel Guy, alors secrétaire d’Etat à la Culture, avait, pour calmer les critiques des élus de nos territoires dénonçant la densification, une nouvelle fois, des efforts de l’Etat sur le territoire parisien, déclaré que ce Centre serait « la centrale de la décentralisation ». Le Centre fut fidèle à cette promesse, engageant, dès la première décennie de son existence, une action territoriale féconde, grâce notamment au programme des expositions itinérantes du Musée national d’Art moderne et du Centre de Création Industrielle. En 1997, devenu Président du Centre, je pris le parti de très largement fermer le bâtiment de Piano et Rogers pour permettre la réalisation plus rapide du programme de réaménagement qui avait été permis par l’effort financier du ministère de la Culture. C’est pendant les 27 mois de ce chantier qui s’acheva symboliquement le 1er janvier 2000, que fut mis en œuvre un programme « hors les murs » dont l’intensité doit beaucoup à Germain Viatte, alors directeur du Musée national d’Art moderne, l’un des quatre départements du Centre et qui avait, dans ses fonctions d’Inspecteur général des Musées puis de Directeur des Musées de Marseille, acquis une large familiarité avec les collectivités territoriales et leurs musées. Ce programme nous conduisit à l’étranger, à São Paulo et à New York, mais surtout en région puisque ce sont une vingtaine d’expositions qui ponctuèrent le paysage de notre pays, de Bordeaux à Nice, de Marseille à Colmar, de Nantes à Villeneuve d’Asq. C’est alors que je pris conscience de la nécessité de poursuivre cette politique au-delà du 1er janvier 2000, mais d’une autre manière, adaptée à la situation d’un Centre ayant retrouvé l’usage de son bâtiment. C’est alors que je lançai l’idée de la création d’une antenne permanente du Centre en région, antenne dont l’existence reposerait sur la collaboration entre l’établissement qui apporterait ses collections et son « ingénierie culturelle » et une collectivité locale qui mobiliserait, elle, les financements nécessaires. Le paysage international n’était pas exempt d’initiatives de ce type, parfois reposant sur le principe mercantiliste de la franchise de sa marque par un musée, comme c’est le cas pour le Guggenheim, parfois soutenu par une ambition de service public territorial, comme c’est le cas pour la Tate Gallery.
Le caractère de la démarche que j’engageai, c’était sa nette affirmation comme un projet de service public dans des conditions inédites pour notre pays, où un projet d’intérêt général, dépassant ses strictes missions statutaires, serait engagé par un Etablissement public et non par l’Etat lui-même. La réalisation de cette idée supposait cependant qu’elle rencontrât le désir et la capacité d’une collectivité locale. J’eus, à ce sujet, des discussions avec de nombreux maires. Certains manquèrent de détermination, d’autres de moyens, certains encore avançaient des propositions dont la qualité géographique ou immobilière n’était pas adaptée à ce que j’attendais du projet : que le « miracle Beaubourg » se reproduise par la conjonction, en un lieu bien desservi, d’un bâtiment exceptionnel et d’une programmation ambitieuse. On le sait, c’est Metz qui releva ce défi. Que je sois né dans cette ville n’a, bien évidemment, pas été la raison de mon choix, même si cette circonstance a ajouté de l’émotion à la raison. C’est la détermination du Maire de l’époque, Jean-Marie Rausch, Président de la Communauté d’agglomération de Metz Métropole, qui nous a permis de conclure très rapidement le principe de notre association, après que son adjoint à la Culture, Christine Raffin, ait établi les premiers contacts. Jean-Marie Rausch, maire depuis 1971, voulait couronner le mandat qu’il venait d’inaugurer en 2001 par la grande réalisation culturelle que lui permettait le faible endettement de sa commune. La conclusion de nos accords fut très rapide. Il m’appartint donc de les confirmer comme ministre de la Culture et de la Communication, quand fut arrêté le choix de Shigeru Ban pour construire le bâtiment qui abriterait l’institution. La mise en œuvre de ce projet bénéficia ensuite d’une magnifique continuité, malgré l’alternance politique qui appela Dominique Gros (PS) à succéder à Jean-Marie Rausch, après, qu’en 2004, la gauche conduite par Jean-Pierre Masseret ait conquis la région Lorraine. Comment ne pas voir dans cette constance la marque du sens de la responsabilité et de l’intérêt général des collectivités locales ?
C’est justement cette considération qui constitue l’une des autres raisons qui m’ont conduit à souhaiter ce projet. Les collectivités locales étaient devenues des acteurs majeurs de la vie culturelle de notre pays et il était donc temps que la conception des politiques culturelles nationales prenne totalement en compte ce fait essentiel qui conditionne inévitablement une nouvelle manière d’envisager l’action possible d’un ministère de la Culture et de ses établissements. Cette raison est suffisamment déterminante pour que je souhaite ardemment que les réformes qui seront apportées à l’organisation des collectivités locales et à la définition de leurs compétences, n’ébranlent pas leurs capacités juridiques et financières à soutenir le développement culturel. En écrivant ces quelques lignes, je pense avec émotion à René Rizzardo, fondateur et animateur passionné de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, qui vient de disparaître et dont les travaux ont si bien souligné l’importance de l’avènement des collectivités locales comme acteurs déterminants de la vie culturelle de notre pays.
A cette considération s’ajoute aussi ma certitude que les Etablissements publics sont eux aussi devenus des acteurs essentiels du développement culturel de notre pays. Ce sont eux qui ont fini par incarner la part la plus dynamique, la plus innovante de l’action de l’Etat, suscitant parfois ainsi des réactions de méfiance de la part des administrations centrales à l’égard de ce qu’elles sont parfois tentées de considérer comme des « féodalités ». Là aussi, il convient que le ministère de la Culture sache affirmer de nouvelles manières de concevoir son action, en s’appuyant justement sur la capacité de ces établissements au lieu de chercher à les circonscrire. J’avais, pour ma part, comme ministre de la Culture et de la Communication, souhaité confier à des établissements des missions « transversales ». C’est ainsi que Jean-François Hébert, Président de la Cité des Sciences, fut chargé d’une mission sur le handicap et l’accueil des handicapés dans tous les équipements du ministère. Cette initiative et d’autres indiquaient une nouvelle manière d’envisager la cartographie de l’action culturelle publique, plus adaptée aux réalités des situations contemporaines.
Parmi les missions générales qui peuvent être prises en charge par des Etablissements publics, outre celles qui leur sont statutairement confiées, il y a incontestablement une participation active à l’aménagement culturel du territoire, au développement de l’action internationale, à l’amélioration de la démocratisation de l’accès à la culture. La logique de notre histoire a concentré en région parisienne le plus grand nombre des établissements nationaux. National a fini par devenir synonyme de parisien, ce qui suscite beaucoup de frustrations en région. Cette situation n’est pas tolérable, mais elle n’est plus illégitime si chaque établissement public du ministère de la Culture s’interroge sur sa relation avec les territoires de la France, chacun selon sa vocation, chacun selon ses moyens, chacun selon son histoire. C’est cette direction que j’avais indiquée aux établissements quand je siégeais rue de Valois. Le message fut aussitôt entendu par le Louvre qui mit en œuvre ce qui allait devenir le Louvre-Lens dont le président du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, Daniel Percheron, fut le plus ardent promoteur. On le voit, l’ouverture du Centre Pompidou-Metz renvoie vers de vraies questions de politique culturelle, vers la question de l’idée qu’on peut se faire aujourd’hui de l’action de l’Etat et de l’adaptation des instruments dont il dispose à ses missions, vers la question d’une nouvelle mobilisation des établissements publics en faveur de cette action, vers la question de la coordination de leur action concertée avec celle des autres collectivités publiques, les collectivités locales.
J'aimerai vous suivre dans cette logique de décentralisation et d'éfficacité culturelle. Comment expliquez vous alors l'absence de continuité dans la politique culturelle régionale comme à la Réunion (passée à l'UMP) et qui décide d'abandonner le projet de Maison des Civilisations, pourtant porté pendant 5 ans par l'ancienne équipe ? Où est l'état ?
Rédigé par : Stephane | 14 avril 2010 à 12:01
Stéphane,
Vous le savez, l'un des principes fondateurs de la République, c'est celui de la libre administration des collectivités locales.
L'Etat, s'il ne peut pas leur imposer des obligations non réglées par la loi, peut cependant, comme il le fait souvent, jouer à leur égard un rôle utile de modération.
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 04 mai 2010 à 10:26