A Bruxelles, élection au Parlement régional de Bruxelles, de Mahinur Özdemir, jeune femme d’origine turque. L’élue paraît au Parlement avec un hidjab, ce qui relance, en Belgique, le débat sur le port, dans l’espace public, de signes distinctifs d’appartenance religieuse. C’est l’hebdomadaire La Vie qui présente, dans un louable souci d’information exacte, à ses lecteurs, à travers trois dessins la différence entre le hidjab (voile qui couvre les cheveux et le cou mais pas le visage), le niqab (voile qui couvre le visage sans les yeux) et la burqa (voile qui couvre tout le visage et dissimule les yeux derrière une grille). Le Président de la République française a pris solennellement position sur cette question devant le Congrès de Versailles en déclarant « la burqa n’est pas bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage… ». En Belgique, toujours, des maires prennent des arrêtés pour interdire la burqa au nom de textes imposants, pour des raisons d’ordre public, à tout citoyen ou résident, d’être reconnaissable, ce qui permet le port du hidjab et rejette celui de la burqa ou du niqab… Cette position paraît équilibrée parce qu’elle associe la tolérance à l’égard des coutumes vestimentaires exogènes et le refus d’en endosser d’autres qui imposent, de fait, à celles qui y sont soumises (les femmes) un état de ségrégation par rapport au reste de la société. Alors que le monde s’est globalisé, que beaucoup de caractéristiques du monde occidental s’y sont répandues, on assiste à une exacerbation de certains particularismes, notamment religieux, et cela jusqu’au cœur du monde occidental dont les populations ne sont plus homogènes culturellement. Ce besoin de marquer une différence, de manifester un attachement à des particularités est-il répréhensible dans des pays (dont le nôtre), qui ont fait du « dialogue des cultures » et de la « diversité culturelle » les étendards de leur engagement culturel international, y compris en promouvant le vote, par l’UNESCO, d’une convention sur la diversité culturelle. Je me souviens avoir, alors que j’étais ministre de la Culture, expliqué, constatant que des pays ne pratiquant que faiblement le respect des droits de l’Homme se retrouvaient, avec la France et le Canada, parmi les défenseurs de ce projet, qu’il fallait bien se souvenir que, dans les conventions internationales, il y avait une hiérarchie et que si, à mes yeux, cette convention devait bien l’emporter sur les conventions de l’Organisation Mondiale du Commerce, elle devait être considérée comme vassale de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Toujours est-il que nous devons savoir nous accommoder de vivre désormais dans des sociétés culturellement hétérogènes où le seul modèle qui s’impose n’est plus celui de l’intégration systématique et générale. Il suffit de se promener dans certains quartiers, des grandes villes notamment, pour y voir fleurir des usages vestimentaires, culinaires, musicaux… issus d’autres mondes. Réprimer l’expression de ces différences ne serviraient à rien et serait, à mes yeux, illégitime. Si tant de femmes et d’hommes restent aussi et parfois farouchement attachés à leurs mœurs, n’est-ce pas aussi parce que l’équilibre démographique entre les indigènes et les exogènes s’est modifié et parce que le modèle de culture, de civilisation que nous offrons s’est érodé et est devenu peu attractif. Pendant longtemps, le christianisme a fourni à l’Europe le corset culturel d’une religion dominante. Ceux qui ne la partageaient pas se conformaient dans leurs usages sociaux, aux règles de vie des majoritaires, de manière à ne pas signaler de façon bruyante leur différence. Cette religion, ses morales, les modes de vie qui y sont attachés, sont devenues minoritaires. Ces cadres ecclésiastiques et ces pratiques religieuses s’étiolent pendant que la société se laïcise et, même, se paganise (au sens historique propre). Les ressorts de notre société ne peuvent plus s’imposer de façon mécanique et simple à des gens encore culturellement façonnés par l’horizon de leur culture d’origine. Si les images de la Gay Pride nous amusent, elles les révoltent. C’est dans cette différence que réside le malaise.
Je ne suis pas pour autant pessimiste. Je crois à la convergence inévitable des modes et des règles de vie. Je sais aussi que notre société est devenue multiculturelle et qu’il faut savoir y respecter les différences en laissant la sédimentation des apports culturels s’y faire naturellement. Les religieuses chrétiennes portent des voiles, les loubavitch des Schtreimels, les sikhs des turbans et alors pourquoi ne pas tolérer le port de voiles qui marquent l’appartenance à l’islam, à condition qu’ils n’occultent pas le visage, car c’est à travers le visage que se traduit le statut de personne d’un être, la personnalité qui lui est propre, son individualité, son caractère de détenteur de droits et de devoirs. C’est également la découverte de ce visage qui, en permettant l’identification de chaque individu, marque sa capacité à être responsable de son sort, c’est à dire à être citoyen.
Les maires belges que j’évoquais plus haut ont donc peut-être raison. Dans l’espace public, le voile pourquoi pas. La burqa, non. J’ajouterais que s’agissant des agents publics, dans l’exercice de leurs fonctions, il conviendrait, quoiqu’il en soit, de maintenir le principe d’une stricte neutralité et donc de prohiber le port de toute tenue qui marquerait une forme d’affirmation excessive d’appartenance religieuse.
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