Le Centre Pompidou, « centrale de la décentralisation »
Il aura fallu dix ans, de 2000 à 2010, pour que mon projet de faire essaimer le Centre Georges Pompidou en région voie le jour. Quand je conçus ce projet, le Centre sortait de 27 mois de travaux qui avaient nécessité une large fermeture de son bâtiment parisien, chef-d’œuvre de Piano et Rogers. Pendant ces 27 mois, avec Germain Viatte d’abord, puis avec Werner Spies, directeurs successifs du principal département de l’établissement, le Musée National d’Art Moderne-Centre de Création Industrielle, nous avions souhaité mettre en œuvre un vaste programme d’expositions « hors les murs » qui marqua les esprits. Ce programme s’inscrivait dans le droit fil de la constante disponibilité du Centre à l’égard d’une collaboration généreuse avec les institutions muséales des régions, marquée notamment par l’abondance des prêts et des dépôts d’œuvres des collections nationales consenties à ces institutions. Le Centre était ainsi fidèle à la promesse de Michel Guy, Secrétaire d’Etat à la Culture, qui, au moment du vote de la loi du 3 janvier 1975 portant création du Centre national d’Art et de Culture Georges Pompidou, annonçait que cette institution nouvelle serait une « centrale de la décentralisation ». Il répondait ainsi aux critiques des élus de la Nation inquiets de voir l’Etat, une fois encore, concentrer son action sur la métropole parisienne.
Après ces 27 mois de brillant programme hors les murs, je ne pus me résoudre à ce que le Centre se replie douillettement dans la seule coquille de son usine du Plateau Beaubourg. Il me paraissait indispensable que cette institution pionnière par nature continue d’innover et d’étonner, et marque sa fidélité à un service public renouvelé, de manière originale, alors même que l’opinion internationale était très impressionnée par les initiatives de filialisation du Guggenheim alors dirigé par le bouillant Tom Krens. Le Guggenheim Bilbao avait ouvert en octobre 1997. Ce modèle, dynamique dans son mouvement, était dans le même temps irrecevable pour une institution publique comme le Centre Georges Pompidou puisqu’il reposait, de manière certes brillante mais mercantile, sur la seule franchise de sa marque et la location de ses collections par un musée privé à des partenaires territoriaux qui attendaient – ce qui n’a pas manqué de se produire – de leur investissement un retour en notoriété, en visibilité, en rendement culturel et économique.
Sans préjuger de ce que serait un jour l’essaimage du Centre à l’étranger, l’ampleur de sa collection le permettant, je préférais me concentrer sur le projet très concret, de lui fixer l’objectif de l’ouverture d’un deuxième site sur le territoire de notre pays, en région, et cela, non pas à la faveur d’une nouvelle initiative de l’Etat lui-même, mais dans le cadre d’une démarche engagée conjointement par l’Etablissement public et une collectivité locale partenaire. Après un passionnant tour de piste avec des collectivités qui marquèrent de l’intérêt pour cette perspective, mon choix s’arrêta sur Metz. Pourquoi Metz ? Parce que la situation géoculturelle de cette ville, qui serait bientôt desservie par un TGV, me semblait exceptionnelle, parce qu’aussi le Maire de l’époque, Jean-Marie Rausch, sut avec audace saisir la balle au bond, souhaitant marquer son 6ème mandat de maire de Metz par la grande réalisation culturelle que lui permettait le faible endettement de sa ville et de sa communauté d’agglomération. Les accords que nous prîmes furent rapides. Nos successeurs, les miens, Bruno Racine et Alain Seban, les siens, Dominique Gros, maire depuis mars 2008, et Jean-Luc Bohl, Président de la Communauté d’Agglomération de Metz Métropole, firent leur, avec enthousiasme, ce projet qu’il m’avait entre temps appartenu de sceller comme ministre de la Culture et de la Communication.
Ce qui caractérise cette réalisation, que le Président de la République inaugurera le 11 mai prochain, avec l’accrochage « chefs-d’œuvre » conçu par Laurent Le Bon, c’est qu’elle met en relief la nouvelle topographie de la responsabilité culturelle dans notre pays qui s’est mise en place au cours des dernières décennies, et qui a permis à un établissement public et à des collectivités locales, de mettre en œuvre, ensemble et directement, un projet d’intérêt général, dépassant le cadre strict de leur compétence immédiate, sans que l’Etat soit à proprement parler l’acteur prépondérant du processus de prise de décision. L’Etat, tuteur du Centre Georges Pompidou, aurait certes pu entraver, voire empêcher, ce projet ou en retarder l’échéance et cela d’autant plus que, s’étant développé sur dix ans, sa mise en oeuvre aura connu six ministres différents, Catherine Trautmann, Catherine Tasca, moi-même, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel et aujourd’hui Frédéric Mitterrand. Fort heureusement, l’Etat aura eu le bon sens de soutenir cette initiative originale, tout en prenant acte que c’était bien de l’énergie propre déployée par un établissement public et une collectivité locale, qu’était né et que s’était développé un projet qui marque ainsi l’affirmation du rôle désormais majeur de ce type d’opérateurs dans la mise en œuvre des politiques culturelles.
Les collectivités locales sont devenues des acteurs majeurs de la vie culturelle de notre pays et cela à tous les degrés de leur organisation. Les lois de décentralisation de 1982 et 2003 ont confirmé ce rôle, dont elles s’étaient souvent emparées motu proprio, et cela de façon parfois ancienne. La vie des bibliothèques, des archives, des musées, des conservatoires de musique, des centres d’art, des théâtres, des festivals… doit beaucoup à leur engagement qui, même s’il est inégal d’un territoire à l’autre, est essentiel. Les travaux de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, fondé et longtemps dirigé par le regretté René Rizzardo, ont mis le doigt sur la force de cette réalité. Que l’Etat, dans sa mission de rationalisation de l’action des collectivités publiques, veille à donner plus de cohérence, d’efficacité, de lisibilité à cet édifice, c’est une chose sans doute nécessaire, à condition toutefois que rien ne soit entrepris qui risquerait d’affaiblir un dynamisme si nécessaire à la culture. Le Président de la République a d’ailleurs indiqué, lors de ses vœux au monde de la culture, le 7 janvier dernier, que la clause générale de compétence culturelle ne serait pas remise en cause à l’occasion du processus de réforme des collectivités locales. C’est une bonne chose à laquelle il convient d’associer une totale vigilance à l’égard de la préservation de la capacité budgétaire de ces mêmes collectivités à mettre en œuvre ladite compétence.
L’avènement des établissements publics comme opérateurs culturels majeurs aura, lui aussi, marqué les dernières décennies. C’est incontestablement la création du Centre Georges Pompidou en 1975 et son ouverture en 1977 qui auront été à l’origine d’une situation nouvelle où des opérateurs nationaux autonomes étaient appelés à mettre en œuvre des projets culturels ambitieux. Autonomie ne signifie pas indépendance, tous les ministres de la culture l’ont rappelé, puisque l’Etat continue, par bien des voies, de concourir directement ou indirectement au développement de ces établissements, par les moyens budgétaires qu’il mobilise en leur faveur, par la maîtrise de la nomination de leurs responsables, par la définition de leurs missions à travers les statuts, les contrats d’objectifs et de moyens ou les contrats de performance… Mais ceci étant, l’autonomie s’est affirmée comme un principe dynamique et la plupart de ces établissements ont su aller au-delà même de l’horizon que leur désignait leur seul cadre statutaire, mettant en œuvre, s’agissant de l’action territoriale, de l’action internationale, de l’innovation technologique, de l’amplification des ressources propres…, des politiques originales et efficaces. A un paysage culturel dont l’Etat était directement l’opérateur majeur, leur dynamisme aura substitué un autre paysage qu’ils marquent fortement et où l’Etat doit s’imposer d’être plus stratège qu’opérateur et apprendre à entretenir avec ces entités des relations de confiance, sans les considérer comme des « féodalités » qu’il devrait encadrer avec défiance.
En fait, dans ce contexte, « l’Etat culturel » aura du apprendre à adapter et à redéfinir les modalités de son action. S’agissant des établissements publics, il se sera posé la question de leur mobilisation en faveur des objectifs généraux de la politique culturelle du Ministère. C’est ce que j’avais fait, rue de Valois, en invitant tous les établissements publics à engager des initiatives identiques à celle du Centre Pompidou à Metz. Le Louvre d’Henri Loyrette entendit très rapidement ce message dont procéda la création du Louvre-Lens. C’est également pour cette raison que j’avais souhaité confier à certains établissement publics des missions « transversales » comme celles dont je chargeais Jean-François Hébert en faveur de la coordination de l’accueil des publics handicapés dans tous les établissements du Ministère.
S’agissant des collectivités locales, l’Etat a du remettre sur l’ouvrage toutes les questions relatives à la meilleure coordination des initiatives de l’ensemble des collectivités publiques, de manière à ce que sa politique soit perçue par l’ensemble les territoires comme cohérente, équitable et efficace. C’est d’ailleurs ce vaste programme qui occupera encore, au cours des prochaines années, les nouvelles directions du Ministère de la Rue de Valois.
On le voit, l’ouverture du Centre Georges Pompidou-Metz est à la fois le témoin des foisonnements d’une époque, la confirmation que rien ne se fait sans la passion des Hommes, et une fenêtre ouverte sur les nouveaux horizons qui s’ouvrent à la mise en œuvre des politiques culturelles.
Jean-Jacques Aillagon |
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