L’Assemblée Nationale bouscule ce dispositif. Sa nouvelle rédaction de l’article 97 de la loi du 13 août 2004 ouvre toutes les vannes. Plus aucune liste ne distingue les monuments transférables et ceux qui ne le sont pas ! Ce sont non seulement les monuments qui sont concernés mais également les objets, donc les musées et cela pour « tout ou partie » du patrimoine qu’ils constituent ! La procédure d’instruction des demandes faites par les collectivités locales est déconcentrée au niveau des « représentants de l’Etat dans la région », du préfet de région donc, le ministre « chargé des monuments historiques » n’étant invité qu’à donner son avis en fin de procédure ! Il n’y a plus, comme en 2004, de délais pour revendiquer le transfert d’un monument puisqu’il n’y a plus de liste contraignante !
On est là, en effet, confronté à une question cruciale. Doit-on désormais considérer que l’ensemble des objets mobiliers et immobiliers historiques et artistiques que possède l’Etat et qui forment son patrimoine culturel ne constitue qu’un stock aléatoire dans lequel chaque collectivité pourrait, au gré de ses désirs ou de ses besoins, puiser ? Doit-on considérer qu’à terme l’Etat n’aurait peut être vocation à ne plus rien conserver en propre ? La question est bien posée dans des termes aussi abrupts par ce cavalier.
Pour ma part, je pense exactement le contraire. Je pense que l’Etat a bien vocation à conserver, à enrichir et à présenter un patrimoine qui lui appartient en propre. Ce patrimoine est notamment constitué par les domaines, les immeubles et les objets qui témoignent de façon forte de l’histoire commune à tous les Français et, s’agissant des collections mobilières, de leur volonté partagée de réunir des ensembles d’œuvres témoignant, au plus haut niveau, de l’aventure spirituelle, culturelle et artistique de notre pays et de l’humanité. C’est la bonne gestion de ce patrimoine qui fonde l’un des piliers d’une politique culturelle. C’est elle qui entraîne vers plus d’excellence les actions des autres collectivités publiques déjà en charge d’un patrimoine mobilier et immobilier important qu’elles ne traitent d’ailleurs que de manière très inégale.
L’affaire est trop sensible pour qu’on en reste là. J’en appelle respectueusement à la sagesse du Parlement et à la conviction du ministre de la Culture. J’en appelle au président de la République qui ne pourrait, sans paradoxe, à la fois promouvoir le projet d’un musée de l’histoire de France et considérer que ces lieux de la mémoire nationale que sont les monuments et les domaines historiques pourraient échapper à la responsabilité de l’Etat, garant de ce qui est commun à tous les Français !
Cette nouvelle est alarmante. Je suis l'auteur de tout petits dons à Versailles et au musée Louis-Philippe du château d'Eu.
J'envisage de laisser après moi des objets historiques qui pourraient intéresser ces musées.
Si la notion d'inaliénabilité est battue en brèche, on peut comprendre qu'un doute s'installe sur la pérennité d'un don issu d'une vie de collectionneur.
Rédigé par : Alain ROGER-RAVILY | 26 novembre 2009 à 17:41
Par cette absurdité, la région Ile de France ou le département des Yvelines pourraient faire la demander du transfert à leurs charges du domaine du Petit Trianon, ou de l'Opéra Royal ?? Un simple Préfet validerait?
Rappelons qu'en son temps l’opération de décentralisation de monuments appartenant à l’Etat avez été initiée par Jean-Jacques Aillagon lorsqu’il était ministre de la Culture. Voici donc qu'une loi bien encadrée en son temps, et n'ayant eu que peu d'effet réel, devient une bombe à retardement, à en faire paniquer son créateur initial.
Rédigé par : Léonard | 28 novembre 2009 à 11:57
Léonard,
Ce n’est pas cela du tout. Autant je suis favorable à la délégation de monuments qui appartiennent à l’Etat à des collectivités qui le souhaiteraient, quand l’appartenance de ces monuments a l’Etat est accidentelle ou aléatoire, autant j’estime que ceux qui appartiennent au cœur de l’histoire nationale ont une vocation imprescriptible à rester propriété de la Nation. C’est le sens des travaux de la commission Rémond, dont les conclusions avaient été prises en compte par la loi de décentralisation de 2004. Evitons deux intégrismes : celui qui consiste à considérer que rien ne doit être changé et celui qui considère qu’il faut tout chambouler.
Cordialement
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 02 décembre 2009 à 18:50
Cher Alain
J’imagine que la loi précisera que les dons consentis à des collections nationales, dans le cadre de la règle actuelle de l’inaliénabilité, ne pourront pas être cédés ou transférés.
Ce serait trahir la volonté des donateurs.
Cordialement
Rédigé par : Jean-Jacques Aillagon | 02 décembre 2009 à 18:53
Eh oui, comme vous le rappelez dans Le Monde ce week-end, "on ouvre les vannes de manière périlleuse".
Au point que nous arriverons sans doute bientôt à la situation annoncée dans mon 3e roman, "2053, le réveil" :
"... une Asie de plus en plus riche, au point de poursuivre ses investissements à son habitude, mais à une autre échelle. En s’appropriant cette fois le patrimoine culturel et foncier. Énorme avantage pour l’État coquericain, entre autres, et sa population, ces ultimes privatisations, bâtiments publics et oeuvres d’art encore nombreux, ralentirent la chute des revenus et des prestations sociales, ainsi que la charge de la dette publique héritée du passé, l’illusion pour cette génération d’échapper au désastre. Dernière servie, mais satisfaite. À la satisfaction des maîtres d’alors, comme auraient été satisfaits les précédents qui avaient ouvert la voie.
Jusqu’au jour toutefois où ..."
Jusqu'où l'anticipation portée par ma trilogie (éditée de 2005 à 2007) va-t-elle se rapprocher de la réalité ?
Rédigé par : Trevor Narg | 13 décembre 2009 à 14:34