On ne peut être insensible aux enjeux de la prochaine désignation de celui ou de celle qui aura la responsabilité de diriger le Centre Pompidou au cours des prochaines années, le mandat de l'actuel président arrivant à son terme.
Faut-il d'ailleurs exclure que le Gouvernement fasse le choix de reconduire Alain Seban dans ses fonctions, pour trois années supplémentaires ? Son bilan est consistant et son autorité reconnue. Encore faudrait-il qu'on accepte de considérer que la stabilité des mandats à la tête des établissements culturels peut constituer pour ceux-ci une véritable chance, leur garantissant la possibilité de déployer des projets de long cours. C'est ainsi qu'il en va d'ailleurs souvent à l'étranger. Nick Serota n'est-il pas le patron de la Tate depuis 1988, alors que depuis cette date, le Centre Pompidou aura connu sept présidents ? Quant à Glenn Lowry, il dirige, sans que personne ne trouve à y redire, le MoMA depuis 20 ans.
Si toutefois le Gouvernement ne faisait pas ce choix-là, il conviendrait d’être attentif à ce que la nomination se porte sur une personnalité, un homme ou une femme – une seule a été présidente du Centre jusqu'à ce jour, Hélène Ahrweiler de 1989 à 1991 – dont l'expérience, le caractère, l'enthousiasme et la volonté seraient à la hauteur de ce qu'exige un établissement dont la création a bouleversé la donne culturelle de notre pays, et dont l'action a, depuis près de 40 ans, porté très haut et très loin la réputation de la France dans le monde et honoré le service public de la Culture. Cette maison mérite incontestablement qu'on la comprenne, qu'on la serve et, tout simplement, qu’on l'aime. Par ailleurs, il serait appréciable que le choix qui sera fait soit, non seulement, l'expression de considérations personnelles ou, ce qui serait moins glorieux, de considérations d’opportunités mais, qu’il exprime une véritable vision de cet établissement, de ses enjeux et de son avenir. C’est pour cette raison justement, qu’on aimerait aussi que la ministre en charge de la Culture joue dans le processus de nomination un rôle effectif. En droit, le président du Centre Pompidou est certes nommé par décret du Président de la République, mais c’est sur proposition du ministre de la Culture. Puisse-t-on, une nouvelle fois, ne pas constater que le ministère de la rue de Valois est mis hors-circuit, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé, lointain mais aussi récent, ce qui finirait par faire douter de l’utilité même de son existence.
Cela dit, quel que soit le choix qui sera, in fine, fait, il appartiendra à celui qui demain prendra les rênes du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, ou continuera de les tenir, de mettre en œuvre une réflexion radicale sur l’avenir de cette institution qui, issue d’un projet utopique doit, sans cesse être ajusté aux nouvelles donnes du paysage culturel et savoir prendre en compte les conséquences mêmes de son propre développement.
Cette remise en perspective doit tout d’abord concerner le MNAM-CCI que dirige désormais Bernard Blistène et qui forme le principal département de l’institution. Quel que soit le regret que peut inspirer la disparition de fait du CCI, conséquence de la réforme des statuts de 1992, il est assuré qu’on ne pourrait le reconstituer, ne serait-ce que parce que des institutions nouvelles, comme la Cité de l'architecture et du patrimoine, ont pris le relais de certaines de ses missions. On peut et on doit, en revanche, s'interroger aujourd'hui sur la capacité du Musée national d'art moderne de déployer convenablement ses missions dans le seul bâtiment de Piano et Rogers. En 40 ans, la collection du musée a crû de façon spectaculaire, en faisant l'une des toutes premières du monde. Autant le bâtiment du plateau Beaubourg reste adapté aux œuvres de dimension, en général, moyenne de la production historique du 20e siècle, autant, il manifeste, de plus en plus son adaptation médiocre à l’exposition des œuvres et installations plus récentes. Sous peine d'enlisement, notre musée national a désormais besoin de pouvoir se déployer sur deux sites. Il y a là, pour le ministère de la Culture, pour l'État de façon générale, une question cruciale qui concerne l'un des moteurs même du développement et du rayonnement culturel de notre pays. Quel dommage que la mise en œuvre de la restructuration, au cœur de Paris, du carreau des Halles, n'ait pas donné lieu, de la part de l'État et de la Ville de Paris, à une prise de conscience de la chance unique qu'offrait à l'avenir du Centre Pompidou, la disponibilité d'espaces si proches de son assise historique. C'est donc ailleurs qu'il faudra porter son regard, mais il faudra le faire.
C’est également l’organisation même du Centre Pompidou, en tant qu’établissement qu’il faudrait repenser. Cette organisation procède de choix faits au début années 1970, sur décision de Georges Pompidou, quand on a décidé d'associer, sous un même toit, un établissement public composé de deux départements, le MNAM et le CCI, auxquels on a joint deux « organismes associés », la BPI, à laquelle on a donné un statut d'établissement public singulier, et l'IRCAM, doté d'un statut d'association, pour protéger la singularité du projet de Pierre Boulez. La réforme des statuts de 1992, en mettant fin à l'existence autonome du CCI a, de fait, "monodépartementalisé" le Centre, malgré la création d'un Département du développement culturel, chargé de missions qui relevaient jusqu'alors de services communs. Cette situation est bancale. Elle doit être clarifiée. C'est la raison pour laquelle la question de la place que la BPI occupe dans la "constellation Pompidou" pourrait être repensée, de façon à ce qu’elle devienne le réel deuxième département dont l’équilibre du Centre a besoin. Quant à l'IRCAM, on ne peut manquer de se demander si son ancrage le plus naturel et le plus efficace ne serait pas, aujourd'hui, le vaste ensemble de la Cité de la musique où réside d’ailleurs l'Ensemble intercontemporain, qui fut et reste de l'IRCAM le remarquable bras musical. Ces hypothèses peuvent sembler sacrilèges à ceux qui auraient, du Centre, une conception intégriste.
Ils ont tort. Cette institution, plus que d’autres, doit savoir rester mobile, souple et adaptée à son contexte.
L’autre grand chantier c’est celui de l’action territoriale et internationale du Centre. Dans quelques jours, l’ouverture du Centre Pompidou-Malaga manifestera la capacité de cette maison à être une force de proposition et à participer à l’action culturelle de la France en Europe et dans le monde. Michel Guy qui fut Ministre de la culture, avait annoncé que le Centre Pompidou serait une "centrale de la décentralisation". L'institution a plutôt été fidèle à cette mission. Sa politique de dépôts, la générosité rarement démentie de ses prêts, n'ont cessé, depuis des décennies, de le démontrer. La création du Centre Pompidou-Metz illustre, elle, cet engagement de façon plus éclatante encore. Sans cesse, il conviendra de rappeler que l'institution messine ne doit pas être un simple label de l'institution parisienne mais qu'elle doit en être, sur un territoire qui a été frappé de nombreux maux et qui s'en relève, comme la continuation et la manifestation quotidienne. C’est la raison pour laquelle, dans un véritable esprit de service public, il est prioritaire de considérer qu’outre un programme brillant d’expositions temporaires, le Centre de Metz a pour vocation de permettre aux collections nationales dont le Centre Pompidou a la garde de se déployer d’une autre manière qu’à Paris dans des accrochages de longue durée. La crise de confiance qui, au cours de l'année écoulée a, un moment, caractérisé les relations de certaines collectivités locales avec le Centre Pompidou-Metz, est en partie surmontée. On doit en savoir gré à tous ceux qui ont œuvré à cet apaisement. Cet apaisement doit désormais devenir une solide "nouvelle alliance". Là encore, c’est un dossier qui sollicitera de façon pressente celui ou celle qui s’assiéra, en avril prochain, dans le bureau du Président du Centre.
Quel qu’il soit, j’aimerais que mes vœux puissent l’accompagner.
Chronique publiée dans le Quotidien de l'Art du 3 mars 2015
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