Versailles pour tous
Pendant toute la journée le château, dont c’est le jour de fermeture, accueille plus de 700 visiteurs mobilisés par des associations qui agissent dans le « champ social », en faveur de demandeurs d’asile, d’illettrés, de chômeurs, de femmes abandonnées, de démunis du 3ème âge, de jeunes frappés de difficultés diverses... Cette initiative a été engagée avec la Fondation Total qui a souhaité consacrer à cet accueil de visiteurs inaccoutumés, les contreparties de son mécénat en faveur de l’acquisition du Tapis de la chapelle de Louis XV, classé « Trésor national », que nous avons ainsi pu faire revenir à Versailles récemment.
Les groupes que forment nos visiteurs sont conduits à travers les salles du château par des conférenciers dont j’observe (et j’admire) la capacité à mettre, de façon accessible, ce patrimoine à la portée de leurs auditeurs dont beaucoup n’ont qu’une connaissance imparfaite du français et une connaissance encore plus flottante de l’histoire de France dont le château est l’un des écrins. Souhaitant moi-même accompagner quelques groupes, je me rends compte de cette réelle difficulté mais aussi de cette formidable gageure : trouver les mots pour partager le savoir, la connaissance et tout simplement l’information. L’émotion, elle, est là, tout naturellement, tout spontanément. Je lis dans le regard de nos visiteurs, le bonheur d’être ici, la fierté de reconquérir ainsi une part de reconnaissance et de dignité, le réconfort de pouvoir ainsi, quelques heures, quitter la galère de l’existence ordinaire, la joie d’avoir le sentiment de pouvoir accéder à des trésors que d’autres possèdent déjà. S’agissant de « démocratiser la culture », je trouve ce genre d’initiatives très volontaires parce qu’elles consistent à faire l’effort d’aller prendre les gens « par la main » plus efficaces et plus pertinentes que les mesures générales, les mesures de gratuité, par exemple, pour telle ou telle tranche d’âge qui, souvent, ne procurent qu’un effet d’aubaine à ceux qui déjà ont le désir et la pratique de la culture et que rien ne dissuaderait de s’y adonner.
J’interroge quelques-unes de ces femmes sur leur situation, sur leur vie. Les réponses sont sobres, dignes mais terribles. Elles soulignent la cécité qui permet à ceux qui ont été mieux lotis par l’existence de vivre comme si de rien n’était. Elles rappellent à chacun d’entre nous son devoir de solidarité, son devoir de fraternité.
Mano Solo
Mano Solo est mort à 46 ans. Sa maladie, le sida, lui a donné la fureur de « travailler dans l’urgence », urgence à crier son talent, urgence à faire fleurir sa révolte.
Il avait très tôt parlé de sa maladie, c’était sans doute une manière de s’en libérer. Une maladie tue est une tuante compagne quand quotidiennement elle forme l’horizon d’une existence, quand elle rythme le cours d’une journée par l’horaire des prises de médicaments, quand elle impose le harcèlement de ses effets secondaires, celui notamment qu’entraînent les remèdes pourtant salvateurs, quand la seule issue qu’elle désigne « à son patient » est celle d’une mort dont il sait, à l’avance la cause. La maladie place ceux qui en sont frappés dans un ailleurs, dans un de ces purgatoires, lieux intermédiaires entre l’enfer et le paradis, entre la vie et la mort. C’est la raison pour laquelle dans les hôpitaux, les malades dont les regards se croisent au hasard d’une consultation, d’une salle d’attente ou de soins, se ressentent comme du même monde, d’un monde où le sort les a déjà mis à part.
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