C’est le 8 mai 2002 que commença, avec la cérémonie de l’Arc de Triomphe, ma vie de ministre. Je découvris, dès le matin, l’encadrement impeccable qui en détermine le cours. La voiture, le chauffeur, l’officier de sécurité, le chef de cabinet, l’horaire de prise en charge, l’itinéraire, l’horaire de dépose… Tout est fait pour que la vie de ministre se déroule sans incertitude, sans accroc, sans incident… C’est confortable mais terriblement périlleux. Ça vous enferme dans un cocon que beaucoup finissent par prendre pour la réalité ! Je me souviens avec délice des moments arrachés à ce carcan, le dimanche notamment quand je pouvais me retrouver en moi-même et aller faire mon marché, rue Poncelet, dans le XVIIème arrondissement.
Ce 8 mai-là, je passai l’après-midi, rue de Valois, dans un ministère déserté pour cause de pont, à prendre connaissance de quelques dossiers et à constituer une équipe. Délice illusoire de ces moments où tout semble facile, parce que rien n’est vrai, qu’aucune réalité ne s’oppose au rêve, que tout semble possible parce qu’on est encore seul.
A l’Arc de Triomphe, autour du Président de la République, avec les ministres qui formaient le nouveau gouvernement. Il y a ceux qu’on connaît déjà, et ceux qu’on ne connaît pas encore. Peu d’amitiés se nouent dans le cercle d’un gouvernement, peu de solidarité s’y manifeste. Être ministre est un exercice assez solitaire et cruel. On guette les malheurs des autres en espérant que le malheur vous épargnera. On finit par se réjouir des difficultés d’un autre, espérant qu’au même moment aucun orage ne vous menacera. On sait que cette mission est plus éphémère pour les uns que pour les autres et on préfère que ce soit pour les autres que pour soi. Beaucoup aspirent à des promotions et guettent avec envie votre ordre protocolaire quand il est plus flatteur que le leur. Certains auraient espéré votre ministère et le désirent encore… Bref, il y a dans un gouvernement, hier comme aujourd’hui, quelque chose de féroce et de peu propice à l’amitié. J’ai tenté de me délester de ces sentiments effrayants, sans doute parce que je n’étais pas du sérail politique, ce sérail qui s’adonne aux mœurs ottomanes de la politique de la manière la plus naturelle. Le discours politique français distingue d’ailleurs souvent, entre les « politiques » et les autres et, notamment ces ministres de la « société civile ». Cette nuance m’a toujours déconcerté. En démocratie, tous les citoyens sont sujets politiques. La politique n’est ni un privilège, ni un métier. Elle est une délégation, temporaire, reçue du suffrage, directement pour les élus, indirectement pour les membres d’un gouvernement nommés par la tête de l’exécutif. Tous, à part les militaires et les membres du clergé, font partie de la même « société civile ». C’est sans doute l’une des faiblesses de la démocratie française que d’avoir, à ce point, « clanisé » la caste politique, de l’avoir, à ce point, coupée de la société notamment par l’empilement, la succession sans borne et le cumul des mandats. On aimerait que plus de fluidité marque la relation entre la vie publique et la société. La fonction ministérielle reprendrait ainsi son sens de fonction de service et l’humilité du mot qui la désigne se trouverait débarrassé de l’apparat princier qui a fini par l’envelopper.
Commémoration du 8 mai
Dans la matinée de ce 8 mai 2009, je me rends sur la place centrale de Plougasnou (Finistère), devant l’église où se déroule une modeste cérémonie commémorative. Le maire, la municipalité portent l’écharpe tricolore, les drapeaux des associations d’anciens combattants sont regroupés devant le monument aux morts, le maire lit le message du ministre de la Défense. Sonnerie aux morts et Marseillaise à la sono. Ensuite, vin d’honneur à la mairie. La matinée a été grise et même agitée. Vers les midi, le ciel se dégage. Il va faire beau et même très beau.
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