Je rentre de deux jours de mission à Turin pour la réunion du réseau des Résidences royales européennes consacrée à un projet d’étude sur « la cuisine des souverains européens ». Le Réseau des résidences royales a été créé en 2001. Il rassemble les responsables de 60 résidences ouvertes au public dans 12 pays de l’espace culturel européen (l’Europe de l’Atlantique à l’Oural…). Depuis la création de cette association, c’est le président du château de Versailles qui en assure la présidence. Il m’appartient donc désormais d’assumer cette responsabilité. L’organisation de la rencontre de Turin relève de la direction régionale des biens culturels et des paysages en Piémont, administration déconcentrée du Ministère italien de la culture. Outre les séances de travail qui se tiennent au Palais Royal, cette réunion est ponctuée par la visite d’un certain nombre des résidences royales constellées autour de Turin, le château d’Agliè, celui de Racconigi, et, bien sûr, celui de Venaria Reale. Le programme y a ajouté la visite du château privé de Pralormo dans lequel les propriétaires, le Comte et la Comtesse Pralormo, reçoivent le public de leurs visiteurs, mettant en valeur leur histoire, leur patrimoine et leur attachement au patrimoine culinaire du Piémont (la Comtesse édite des livres de cuisine qui relèvent de la populaire filière italienne du « Slow Food »).
Contrairement à la région parisienne qui a vu disparaître bon nombre des châteaux qui y formaient une dense couronne de demeures royales et princières (le château neuf de Saint-Germain, Marly, Saint-Cloud, Sceaux…), le Piémont a conservé l’essentiel de son patrimoine castral. Ce patrimoine, hélas, n’a pas été épargné par l’urbanisation et l’industrialisation des paysages qui en ont assiégé jusqu’aux abords les plus proches.
Après une conférence de presse donnée à l’occasion des travaux de notre association, une journaliste de La Stampa m’interroge sur les impressions que je retire de mon séjour à Turin. J’insiste sur cepoint qui me paraît essentiel et déterminant, si, comme l’affichent les autorités publiques, le Piémont veut valoriser le patrimoine de cette région et développer une activité significative de « tourisme culturel ». Ce pari semble avoir été largement atteint à Venaria Reale dont la restauration a mobilisé des fonds publics massifs, ce qui anime la jalousie de nos collègues de Naples qui prétendent que Walter Veltroni, alors ministre de la culture, aurait détourné les crédits prévus pour le midi, vers le Piémont… Histoire bien symptomatique des tensions persistantes entre le Nord et le Midi de la péninsule.
A Turin, visite aussi des Archives d’Etat dont le siège historique jouxte le Palais Royal. Nous y sommes accueillis par le directeur, M. Carassi, délicieusement et courtoisement francophone. Il déploie sous nos yeux quelques trésors de son riche fonds en charge notamment des archives de la Maison de Savoie. Cette dynastie a régné sur ce royaume transalpin qui, pendant des siècles, a fait fi des frontières que nous disons aujourd’hui naturelles et dont l’Europe moderne a, pendant longtemps, fait l’horizon sommaire de sa vision politique du territoire. L’installation de ces archives est impressionnante. On aimerait que les Archives nationales de France bénéficient d’une telle qualité d’équipement. C’est quand j’ai pris la mesure de la scandaleuse vétusté de leur situation, dans les locaux si dégradés du « quadrilatère historique » du Marais, que je me suis convaincu qu’il fallait promouvoir la création d’une nouvelle « Cité des Archives ». Cette conviction, rencontrant l’intérêt et le soutien du Président de la République, Jacques Chirac, me permit, en 2004 d’engager ce grand projet si nécessaire. Il est désormais en cours de réalisation. Dans Le Figaro, que je trouve à l’aéroport, au retour vers Paris, un article de Claire Bommelaer qui annonce le prochain déménagement des fonds. Il était temps que la France s’intéresse à ses archives. C’est une marque de considération à l’égard du passé dont le présent assume la mémoire. C’est une marque de respect pour la recherche historique qui se nourrit des fragiles traces que produit le temps. C’est pour l’Etat une manière digne de prendre en charge l’une de ses plus anciennes « missions culturelles », celle de former, de conserver, de transmettre des archives. Déjà les rois mérovingiens gardaient dans leurs coffres ces papiers qui attestaient de la force des pactes, des traités, des engagements et des lois, régulant ainsi la seule force de la puissance.
J’avais arrêté ce blog le 17 mars dernier, à la mort d’Othello. Nous y travaillions en quelque sorte ensemble, le matin, de bonne heure. Je buvais du thé en écrivant et en lisant. Il me regardait en attendant, l’heure suave des croquettes. Ce petit rituel d’existence a été rompu. J’ai eu un vrai mal à m’en remettre et à me remettre à ce travail d’écriture désormais solitaire.
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