Le débat qu’a suscité l’interview que j’ai donnée au Monde, le 23 décembre dernier, a eu quelque écho dans le propos du Président de la République. Le Président a indiqué qu’il était « attaché à un ministère de la culture », en précisant que « la force des propositions » qu’il venait de faire montrait bien que ce ministère « pouvait servir à quelque chose ». Voilà une prise de position nette et franche. Elle engage la République et traduit cette singularité française de l’alliance de l’Etat, à travers son chef, et de la culture. Elle n’est pas sans faire penser au mariage mystique entre Venise et la mer que le Doge célébrait chaque année en jetant, depuis le pont du Bucentaure, un anneau d’or dans la mer.
Qu’on confie au Monde quelques réflexions non conventionnelles sur le ministère de la culture, à l’occasion de son cinquantenaire, et c’est un débat vif qui s’élève. Tant mieux pour le débat toujours salutaire et utile. On aimerait que chacun se garde non pas de le passionner, parce que le sujet est passionnant, mais de le personnaliser. Les questions soulevées ne visent, en effet, pas l’action de tel ou tel ministre et moins encore celle de l’actuelle ministre à laquelle m’attachent d’ailleurs des liens anciens d’estime et de respect, mais le ministère, comme forme politique et administrative spécifique dans laquelle s’exprime, depuis 50 ans, la volonté de l’Etat de contribuer, de façon forte, au développement culturel de la France.
Dois-je d’emblée rappeler que je concluais mon interview à Michel Guerrin et Nathaniel Herzberg (Le Monde) en constatant que si la question de la disparition du ministère de la culture pouvait être intellectuellement posée, elle n’était pas politiquement opportune, et ne signifiait surtout pas qu’on pourrait « jeter le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire l’ambition d’une politique culturelle de l’Etat, à mes yeux impérative et nécessaire, avec l’existence, par la force des choses contingente, d’un ministère dont la forme historique a succédé, même si elle les a amplifiées, à des structures antérieures parfois brillantes et efficaces. Je rappelle cette nuance importante parce que dans ce domaine comme dans d’autres, la tentation est souvent grande, en France, de confondre l’outil et l’ouvrage. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je précisais que l’attachement symbolique, « quasi religieux » disais-je, au ministère de la rue de Valois, faisait qu’il valait mieux, à tout prendre, ne pas éveiller d’inutiles émotions en envisageant de s’en passer. La question est donc bien pour moi, cinquante ans après la création d’un ministère de la culture pour André Malraux, de savoir comment en faire le meilleur usage.
C’est la raison pour laquelle je concluais aussi cette interview au Monde par le rappel de la nécessaire réforme du Ministère, de manière à l’adapter avec efficacité aux missions auxquelles on le destine. J’ai le sentiment que le Président de la République, en évoquant la nécessaire « rénovation » du Ministère n’a, à Nîmes, pas dit autre chose.
A cet égard, il me semblerait notamment indispensable qu’on s’interroge plus avant sur la relation entre ce ministère et celui de l’éducation nationale, l’école, le collège, le lycée étant le principal espace d’acculturation de tous nos jeunes concitoyens. Dans l’histoire récente, ce rapprochement souhaitable a pris la forme de l’« union personnelle » de ces ministères en la personne de Jack Lang, conjointement ministre de la culture et ministre de l’éducation nationale du 2 avril 1992 au 30 mars 1993. Beaucoup de ministres de la culture, je pense à Jacques Toubon, ont constaté que la « démocratisation culturelle » restait pour leur ministère un objectif difficile à atteindre même s’il était prioritaire. Cette difficulté, maintenant que la culture et la communication sont associées fermement dans le même ministère, passe incontestablement par une synergie plus marquée entre « culture » et « éducation », territoires qui par un paradoxe étonnant ont fini par se situer eux-mêmes dans des sphères distinctes alors que le fondement même de la culture s’enracine dans l’éducation, dans l’acquisition des savoirs fondamentaux, dans l’approfondissement de la connaissance du monde et l’épanouissement de la sensibilité.
Autre question dont on ne saurait faire l’économie, c’est celle de la clarification de la répartition des compétences et des missions entre les différentes collectivités publiques dans le domaine de la culture. Cette question est d’ailleurs au cœur même du débat général qui justifie les travaux de la « commission Balladur ». L’enchevêtrement actuel des compétences, des initiatives et des actions propres de l’Etat, des régions, des départements, des communes, des intercommunalités…, brouille les données et prive de sa lisibilité l’action de chacun des degrés d’organisation des collectivités publiques. Il conduit à des redondances, tantôt à une densification forte des actions sur certains territoires, tantôt à des défaillances sur d’autres. J’ai toujours considéré, ceci étant, que l’Etat devait garder, et même développer, ses missions les plus stratégiques parce que les plus générales, celles qui visent la législation et la réglementation, celles qui s’appliquent aux institutions dotées de missions nationales, celles qui s’orientent vers le développement de réseaux cohérents d’institutions soutenues conjointement par l’Etat et par les collectivités locales, celles qui consistent à proposer à l’ensemble du corps social des programmes culturels nationaux. La question de la décentralisation de certaines missions de l’Etat au bénéfice de collectivités locales peut être posée, ainsi que, de manière symétrique, celle de la reconcentration d’autres au sein de l’administration centrale. C’est dans ce travail de clarification que l’Etat peut jouer utilement un rôle essentiel, attendu et irremplaçable puisqu’il est, par vocation, responsable de tout le territoire et des intérêts égaux de tous nos concitoyens.
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